Gorbatchev secrétaire général : le bureaucrate qui voulait sauver l’URSS19/03/20252025Journal/medias/journalnumero/images/2025/03/une_2955-c.jpg.445x577_q85_box-0%2C0%2C1271%2C1649_crop_detail.jpg

il y a 40 ans

Gorbatchev secrétaire général : le bureaucrate qui voulait sauver l’URSS

Le 11 mars 1985, Mikhaïl Gorbatchev devenait à 54 ans secrétaire général du Parti communiste d’Union soviétique. Les réformes qu’il entreprit, qui allaient aboutir – bien malgré lui – à l’éclatement de l’URSS six ans plus tard, et le fait qu’il ait été écarté du pouvoir par ses pairs de la haute bureaucratie, lui ont valu d’être décrit en Occident comme un idéaliste épris de modernité et de démocratie à l’occidentale.

Lorsque Gorbatchev est mort, en 2022, un journal français titra : « Gorbatchev, l’anti-Poutine ! » Mais en fait la politique de ce représentant dévoué de la bureaucratie soviétique venue au pouvoir avec Staline, n’avait pas d’autre but que de raffermir la domination de celle-ci et celle de son État, alors miné par des contradictions internes, ainsi que de renforcer sa position dans l’ordre impérialiste mondial.

Réformer l’URSS pour perpétuer le régime

Gorbatchev avait fait carrière dans l’appareil du Parti communiste et en était devenu secrétaire dans la région de Stavropol. On peut lire dans ses Mémoires : « On peut comparer le rôle des secrétaires du Parti avec celui des gouverneurs tsaristes. Ils ont les pleins pouvoirs locaux. (…) Le peuple ne les choisit pas, ils reçoivent leur pouvoir de Moscou – du politburo, du secrétaire général. C’est un pouvoir immense, sans limite dans la région (…). »

Devenu le protégé d’Andropov, le chef du KGB, la police politique, celui-ci le fit venir dans la capitale quand il fut lui-même choisi comme secrétaire général. Promu au bureau politique, Gorbatchev constitua ses réseaux, manœuvrant pour placer des alliés dans les ministères ou pour écarter des rivaux. Mais, une fois parvenu au sommet du pouvoir en 1985, il lui fallut encore se lancer dans une lutte farouche pour imposer son autorité à l’ensemble de la bureaucratie.

L’économie soviétique était victime du népotisme, de la corruption, en un mot du pillage par la bureaucratie, qui avait fini par entraîner une gabegie incontrôlable, au point de rendre la planification inefficace. Gorbatchev voulait y remettre de l’ordre, faire en sorte que l’économie étatisée fonctionne mieux, car elle était la base même des privilèges des bureaucrates. C’est pour renouveler en partie l’appareil étatique, dans l’intérêt bien compris de la bureaucratie dans son ensemble, qu’il lança les réformes connues sous les noms de perestroïka (reconstruction) et de glasnost (transparence).

Afin de soumettre les différents clans de la bureaucratie à la tête des républiques et des régions, au sommet du parti et des principaux organes d’État comme le KGB ou l’armée, il promut des hommes de sa génération, dont un certain Boris Eltsine à la tête du parti à Moscou. Celui-ci allait bientôt le doubler, en surenchérissant en faveur du multipartisme, de l’indépendance des républiques soviétiques et du retour à l’économie de marché.

Confronté à la fronde des sommets de la bureaucratie, Gorbatchev chercha à asseoir sa popularité dans de larges couches de la petite bourgeoisie, parmi les intellectuels et les dissidents pro-occidentaux. Il encouragea une relative liberté d’expression et d’association, critiqua « l’immobilisme » de Brejnev, secrétaire général jusqu’en 1982. Cela entraîna une effervescence politique que personne n’avait prévue. Les aspirations nationales brimées, les tendances centrifuges, la soif de liberté s’exprimèrent de plus en plus largement. Et la lutte politique entre les hauts bureaucrates, loin d’être domptée, prit une nouvelle ampleur.

Les réformes de Gorbatchev se traduisirent, d’autre part, par une pression accrue sur la classe ouvrière. Il prit des mesures pour augmenter la productivité, renforcer la discipline au travail, en appelant aux « traditions du mouvement stakhanoviste ».

Toutes ces réformes n’étaient donc pas censées remettre en cause le système. Cependant les pressions qui s’exprimaient dans la société et dans son propre entourage poussèrent Gorbatchev à aller plus loin. En février 1987, il autorisa la création de coopératives, premier pas ouvrant la voie à une réintroduction de l’économie de marché, dans laquelle s’engouffrèrent aussitôt bureaucrates et petits bourgeois affairistes. Certains bureaucrates commençaient à rêver de pouvoir s’enrichir au grand jour.

Intégrer davantage l’URSS dans l’ordre impérialiste mondial

Gorbatchev chercha aussi à mettre un frein à la course aux armements engendrée par la « guerre froide », qui représentait un coût énorme. Il suspendit les essais nucléaires et engagea des discussions avec les dirigeants occidentaux, qui allaient durer des années avant d’aboutir à des accords. Mais, pas plus que la Maison Blanche ou l’Élysée, le Kremlin n’agissait « pour la paix ». Tous s’accommodaient très bien des guerres en cours, au Nicaragua, en Afghanistan, entre l’Iran et l’Irak, etc. Il s’agissait juste de proposer une trêve, dans l’intérêt commun des capitalistes et des bureaucrates.

En effet le régime bureaucratique de l’URSS n’avait plus rien à voir depuis longtemps avec la Russie révolutionnaire de 1917. En désarmant politiquement le prolétariat, l’URSS des bureaucrates était devenue au contraire un facteur de stabilisation. Dans La Révolution trahie, Trotsky avait écrit que pour « neutraliser » la bourgeoisie, la bureaucratie devait « se donner l’apparence modérée et solide d’une véritable gardienne de l’ordre. Mais pour le paraître durablement, il faut à la longue le devenir. » Pendant la Deuxième Guerre mondiale, l’URSS s’était alliée successivement à l’Allemagne de Hitler, puis à l’Angleterre et aux États-Unis et, à la fin de la guerre, elle avait collaboré au rétablissement puis au maintien de l’ordre impérialiste.

Gorbatchev, dans le contexte de la guerre froide, chercha donc à donner encore des gages à l’impérialisme. Mais sur ce terrain aussi, celui-ci encouragea bientôt d’autres bureaucrates, prêts à aller plus loin dans la voie de la dissolution de l’URSS au sein du marché mondial.

Une continuité politique de Gorbatchev à Poutine

En cinq-six ans, tel un apprenti-sorcier, Gorbatchev fut débordé par l’évolution qu’il avait lancée. Il dut lutter à la fois contre les « conservateurs » opposés aux réformes et contre des bureaucrates « modernistes », encore plus démagogues que lui et qui allaient finir par le débarquer. Dès 1989, les pays d’Europe de l’Est, occupés depuis 1945, retournaient dans le giron occidental, puis en 1991 l’URSS elle- même fut dissoute par ses propres dirigeants qui forcèrent Gorbatchev à démissionner. Boris Eltsine, qui avait contribué à saper son pouvoir, s’imposa à la tête de la seule Fédération de Russie.

Le pays connut alors une décennie d’effondrement avant que Poutine reprenne en main au début des années 2000 ce qui restait de l’État bureaucratique russe après l’éclatement de l’URSS. Depuis, Poutine s’oppose aux pressions de l’impérialisme occidental sur ce qu’il juge être son pré carré, comme on le voit dans le conflit armé en Ukraine. Mais lui aussi a, à maintes reprises, réitéré ses offres de « partenariat » aux dirigeants impérialistes. Un accord Trump-Poutine pourrait, s’il se confirme, ouvrir la voie au rêve de toujours des bureaucrates : insérer encore plus la Russie ex- soviétique dans l’ordre impérialiste mondial.

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