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Leur société
À propos de l’Affiche rouge : le PCF, de Lénine à Macron
Au-delà de l’opération politique qu’elle a constituée pour Macron, la panthéonisation de Missak et Mélinée Manouchian, au nom de leurs 22 camarades, communistes et étrangers pour la plupart, exécutés par les nazis en 1944, a remis en lumière la triste évolution du PCF.
Le parti fondé en 1920 dans le sillage de la révolution russe est passé de l’internationalisme à l’union nationale, des proclamations révolutionnaires des années 1920 à la défense de l’Empire français en 1945 et au plat conformisme patriotique d’aujourd’hui. Comme toute l’Internationale communiste, le Parti communiste s’était formé en France en reprenant le mot d’ordre de Karl Liebknecht durant la guerre de 1914-1918 : « l’ennemi principal est dans notre propre pays. » Mais, dans les années 1930, à l’approche d’une nouvelle guerre, le PC suivit les méandres de la politique de Staline et remplaça le programme révolutionnaire prolétarien par le simple antifascisme.
Cette politique d’alliance avec les bourgeois démocrates, au prétexte de faire l’unité contre le fascisme, comportait l’abandon de toute politique indépendante de la classe ouvrière. Elle paralysa l’action des travailleurs en Espagne comme en France en 1936, apportant finalement la défaite dans ces deux pays. Le pacte Hitler-Staline d’août 1939 contribua encore à démoraliser des militants pourchassés par la répression et dispersés par l’ordre de mobilisation. Puis, après juin 1941 et l’attaque allemande contre l’Union soviétique, le PC changea une fois de plus de politique, s’alignant derrière celle de Staline et prônant l’alliance de tous les patriotes, qu’ils soient bourgeois ou travailleurs, derrière de Gaulle et les Alliés.
C’était renier toute la tradition communiste. La Deuxième Guerre mondiale était la poursuite de la Première, une lutte entre impérialismes pour le partage du monde. La politique de Lénine, « transformer la guerre impérialiste en guerre civile », restait la seule porteuse d’un débouché révolutionnaire. Quel que soit le déplacement des fronts, quels que soient les gouvernements en place, fascistes, demi-fascistes ou démocrates impérialistes, quelles que soient les alliances et leurs renversements, il fallait préparer la classe ouvrière à mettre à bas le système capitaliste fauteur de guerre et responsable du fascisme.
Pendant la Résistance, la multiplication des actions armées dans la France occupée permettait à la direction du PCF de prétendre à une place auprès de De Gaulle, mais ne risquait pas de le menacer sur le plan social. Elle permettait en outre à ce dernier de montrer à Churchill et Roosevelt qu’il disposait d’un soutien en France. Il fallait, malgré la défaite de 1940, malgré Pétain et la collaboration avec l’impérialisme allemand, si profitable au patronat français, qu’une autorité politique française se retrouve à la fin du côté des vainqueurs. Il en allait de la sauvegarde de l’Empire colonial et de la prospérité de la bourgeoisie.
Les communistes étrangers, obligatoirement clandestins, les jeunes travailleurs juifs, souvent immigrés ou enfants d’immigrés, menacés en permanence, révoltés par l’antisémitisme d’État et cherchant comment y répondre, furent mis au service de cette politique du PC, devenu PCF en 1943. Celui-ci leur proposait des armes pour combattre les Allemands et le régime de Pétain. La direction du parti les traita d’ailleurs, eux et les autres combattants, comme un général traite ses fantassins. Manouchian, ses 22 camarades et des milliers d’autres furent ainsi envoyés consciemment à la mort.
Beaucoup gardaient pourtant leurs convictions internationalistes. Manouchian affirmait dans sa dernière lettre : « Je n’ai aucune haine contre le peuple allemand. » Devant le peloton d’exécution, des militants comme Timbaud criaient : « Vive le Parti communiste allemand. » La direction du PCF, elle, n’hésita pas à donner pour consigne « à chacun son boche » et à demander à ses combattants armés de multiplier les exécutions d’Allemands, au hasard des rues et des occasions, afin que « la peur change de camp ».
Devenu patriote, le PCF fut ainsi admis au gouvernement provisoire à Alger, puis en 1944 au gouvernement tout court à Paris. Il demanda alors aux militants de rendre leurs armes et d’entrer dans l’armée et la police d’État, effaça rapidement les noms étrangers des listes de fusillés, demanda aux travailleurs de reconstruire le pays, le ventre creux et en oubliant leurs revendications, contribua au maintien des colonies sous la tutelle française.
C’est en 1955 que le PCF, alors dans l’opposition, sortit Manouchian et les résistants étrangers de l’oubli où il les avait lui-même plongés. Aragon, qui ne faisait rien au hasard, publia pour cela son poème Strophes pour se souvenir, connu comme l’Affiche rouge, et le PCF se refit une beauté un peu moins cocardière. Aujourd’hui Macron, voulant se donner belle allure, peut à son tour utiliser l’image de Manouchian, avec le soutien du PCF, qui demandait depuis longtemps cette place aux côtés des « grands hommes » de la bourgeoisie française. Son secrétaire national Roussel peut en rajouter dans l’opération politique du président. Et sans la moindre vergogne, les héritiers de Pétain dont la police arrêta Manouchian et ses camarades, les Le Pen et consorts, peuvent apporter leur pierre à cette unanimité nationale.
La tragédie de 1943-1944, c’est-à-dire le sacrifice de militants ouvriers pour cimenter l’union nationale derrière la bourgeoisie, se répète, cette fois en farce télévisée.