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Grande-Bretagne : le scandale Horizon, machine à broyer
Il a fallu le succès d’une mini-série diffusée début janvier pour que le gouvernement britannique s’engage à innocenter environ 800 responsables de bureau de poste, injustement accusés de s’être servis dans la caisse alors que les déficits affichés sur les comptes des clients étaient dus à un logiciel défectueux nommé Horizon.
Fondée en 1987, Post Office Limited (POL) est une entreprise publique spécialisée dans la vente de timbres et la gestion de comptes bancaires – la distribution du courrier étant quant à elle assurée par Royal Mail, totalement privatisé depuis 2015. Chacun des 11 500 bureaux de POL du Royaume-Uni est géré par un commerçant franchisé.
C’est en 1999 que POL a fait l’acquisition, auprès de l’entreprise japonaise Fujitsu, du logiciel de gestion de comptes Horizon, pour une somme de 900 millions de livres sterling (plus d’un milliard d’euros). Rapidement, des trous énormes sont apparus sur les relevés de certains clients, ce que la hiérarchie a immédiatement mis sur le dos des gérants. Non seulement ils ont été accusés publiquement d’être des voleurs mais, statut d’indépendant oblige, elle a exigé d’eux qu’ils remboursent personnellement les sommes manquantes, souvent supérieures à 100 000 livres.
Entre 1999 et 2015, des franchisés ont donc été par centaines traînés dans la boue, contraints de déménager, condamnés voire emprisonnés. Ruinés financièrement, démolis moralement, au moins quatre se seraient suicidés, tandis que des dizaines ont commencé à s’organiser pour réclamer justice.
Dix millions de téléspectateurs devant Mr Bates contre La Poste, voilà qui a fini par pousser le Premier ministre conservateur Rishi Sunak à dénoncer « la pire injustice de l’histoire britannique ». Ce n’est pas trop tôt ! Des ingénieurs avaient mis en garde dès le départ contre les défauts du logiciel. Alors, cette promesse de blanchiment en masse et de remboursement avant la fin de l’année est bien la moindre des choses. Il s’agit aussi d’un geste intéressé de la part des conservateurs, toujours loin derrière les travaillistes dans les sondages. Alors que les législatives se rapprochent, ils n’ont pas besoin d’une casserole de plus.
Mais cette reconnaissance tardive ne peut faire oublier les responsabilités de l’ensemble de la classe politique dans cette affaire. En 1999, c’est avec la bénédiction du Premier ministre travailliste Tony Blair que POL eut recours aux services de Fujitsu, car il fallait, dans le sillage de la conservatrice Margaret Thatcher, multiplier les partenariats public-privé.
Tous les gouvernements conservateurs qui ont suivi, de Cameron à Truss en passant par May et Johnson, ont ensuite couvert les ratés d’Horizon, faisant porter le chapeau à des innocents. Le scandale éclabousse en particulier le leader actuel des libéraux-démocrates, Ed Davey, qui fut ministre des Postes de 2010 à 2012. Il n’est pas sûr que les électeurs le lui pardonnent.
Les discours compatissants de Sunak n’effacent pas non plus les nombreux méfaits passés de l’État britannique. On peut citer les emprisonnements abusifs de prétendus terroristes pendant les « troubles » en Irlande du Nord (1968-1998), et l’affaire du sang contaminé par le VIH, qui fit des milliers de victimes dans les années 1970-1980, sans pour autant conduire à l’indemnisation systématique des survivants ou des proches. Et la liste s’est allongée depuis.
Pour sauver les apparences, Paula Vennels, directrice de POL de 2012 à 2019, a rendu sa médaille de commandeur de l’Empire britannique, breloque équivalente à la Légion d’honneur. Mais cette prêtresse anglicane, aussi charitable soit-elle, ne parle pas de rendre le salaire qu’elle touchait à l’époque, plus de 700 000 livres annuelles, ni les deux millions reçus en prime de performance. Quant au groupe Fujitsu, l’État britannique a signé avec lui autour de 200 contrats pour ses services informatiques, pour une valeur approchant les 7 milliards de livres. Quarante-trois sont encore en cours et il n’est pas question de les interrompre.
Au-delà du scandale Horizon, le secteur public reste la vache à lait des capitalistes. Et ce système basé sur la course au profit reste, pour reprendre le titre d’un livre consacré à la privatisation des télécoms en France dans les années 2000, une « machine à broyer » et à briser des vies.