Le Hamas : la révolte des opprimés n’est pas son combat22/11/20232023Journal/medias/journalnumero/images/2023/11/2886.jpg.445x577_q85_box-0%2C104%2C1383%2C1896_crop_detail.jpg

Dans le monde

Le Hamas : la révolte des opprimés n’est pas son combat

Parmi la population des pays arabes et au-delà, l’opération Déluge d’al-Aqsa déclenchée le 7 octobre par le Hamas a été considérée comme une victoire historique pour celui-ci et, malgré les atrocités commises, il y a gagné en popularité.

Face à un État israélien protégé par les puissances impérialistes qui a en toute impunité expulsé, opprimé tout un peuple et perpétré des massacres, beaucoup dans le monde arabe ont éprouvé un sentiment de revanche. Avec la nouvelle guerre à Gaza et la volonté affichée d’Israël d’éradiquer le Hamas, ce parti qui est une branche palestinienne des Frères musulmans a réussi à redorer un blason terni après dix-sept ans à la tête de la bande de Gaza.

À la tête d'un mini-État

Israël a décidé d’évacuer la bande de Gaza en 2005. L’année suivante, bénéficiant de l’échec des accords d’Oslo et du discrédit de l’OLP et du Fatah, le Hamas y remportait les élections. Les dirigeants occidentaux, ne voulant pas reconnaître le succès d’une organisation qu’ils avaient classée comme terroriste, poussèrent le Fatah à remettre en cause le scrutin. Une lutte sanglante opposa alors les milices des deux organisations rivales et déboucha en 2007 sur l’éviction du Fatah de la bande de Gaza.

Le Hamas se retrouva alors à la tête d’un mini-État, avec son administration, ses impôts, son appareil militaire et de répression. Pour qu’il puisse payer ses fonctionnaires et jouer son rôle de maintien de l’ordre à Gaza, des fonds vinrent le financer depuis le Qatar et l’Iran, avec l’accord d’Israël, qui y trouvait son intérêt. « Quiconque veut contrecarrer la création d’un État palestinien doit soutenir notre politique de renforcement du Hamas et de transfert d’argent vers lui. Cela participe de notre stratégie : isoler les Palestiniens de Gaza de ceux de Cisjordanie », déclarait cyniquement Netanyahou en 2019.

Si Israël et les puissances impérialistes ont toujours présenté le Hamas comme l’ennemi à abattre, en coulisse elles n’ont jamais cessé d’entretenir des relations directes ou indirectes avec lui. Quant aux Gazaouis, ils ont déchanté. Ils ont été confrontés aux difficultés du quotidien liées au blocus économique et militaire permanent, aux multiples guerres, au chômage qui touche 50 % de la population, aux coupures d’électricité de plus de douze heures par jour, à une eau à peine potable et à des impôts sans limite. Même si les Gazaouis voient bien dans Israël et l’Égypte les responsables du blocus, leurs critiques n’ont pas épargné le Hamas. Ses dirigeants ont la haute main sur l’économie de l’enclave et taxent fortement toutes les activités, permis de construire, commerces même informels, cigarettes, jusqu’aux cautions de sortie de prison suite à des arrestations souvent arbitraires. Beaucoup critiquent la corruption des cadres du Hamas, qui ne semblent pas souffrir des pénuries d’électricité.

Contre les masses populaires

La population vit sous la surveillance des agents du Hamas en civil, appelés Zanana en référence aux avions de surveillance de l’armée israélienne qui volent au-dessus de Gaza. Pourtant, ces dernières années, des mobilisations ont, à plusieurs reprises, émergé par le biais des réseaux sociaux. Ainsi, en mars 2019, le hashtag « Nous voulons vivre » s’y est répandu. Pendant trois jours, des milliers de jeunes se sont mobilisés contre les impôts et la pauvreté. Pensant que les manifestations se dirigeraient seulement contre Israël et le Fatah, le Hamas a d’abord laissé faire, avant de découvrir qu’il était la cible des manifestants et de les réprimer violemment.

Depuis près de vingt ans, l’état de guerre permanent entre Israël et Gaza a permis au Hamas d’asseoir son pouvoir et de faire taire toute contestation. Cela a été aussi l’occasion de détourner des révoltes qu’il n’avait pas déclenchées et d’en tirer profit, notamment au printemps 2021, quand l’irruption des forces israéliennes dans la mosquée al-Aqsa de Jérusalem déclencha le soulèvement de toute une jeunesse. Celle des quartiers occupés de Jérusalem-Est et celle des camps de réfugiés de Cisjordanie furent rejointes pour la première fois avec cette ampleur par de jeunes Arabes israéliens. En déclenchant alors des tirs de roquettes sur Israël, le Hamas imposa un affrontement militaire, étouffant cette révolte de la jeunesse pendant qu’Israël bombardait une nouvelle fois Gaza. En Israël même, la contestation grandissante des jeunes Arabes Israéliens face aux vexations dont ils étaient victimes était elle aussi étouffée.

La politique du Hamas ne sert pas les intérêts des masses opprimées de la région. La population de Gaza paye au prix fort ses manœuvres cyniques. Le 7 octobre, celles-ci ont sciemment conduit au bain de sang qui a coûté la vie à des milliers de civils. Il est évident que les dirigeants du Hamas savaient qu’elles entraîneraient la riposte d’Israël qui a transformé Gaza en champ de ruines. Sa posture guerrière et son radicalisme de façade visent à s’affirmer comme le représentant exclusif des Palestiniens et à s’imposer comme seul interlocuteur auprès des grandes puissances et d’Israël, quel que soit le prix payé par la population. Le Hamas ne veut pas être l’expression de la révolte des masses opprimées, et en réa­lité il la craint. C’est pourtant celle-ci qui peut ouvrir un avenir si elle cherche à renverser l’ordre impérialiste qui, en utilisant tous les clivages religieux, nationaux et politiques, entraîne les peuples dans la barbarie et dans des conflits sans fin.

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