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Turquie : entre Erdogan et Kiliçdaroglu
À l’issue du premier tour des élections présidentielle et législatives qui s’est déroulé en Turquie le 14 mai, l’actuel président Recep Tayyip Erdogan semble en mesure d’emporter la victoire, contrairement à ce qu’annonçaient plusieurs sondages et à ce que beaucoup espéraient.
Cependant, pour la première fois, Erdogan devra attendre, ou plutôt déployer tous les moyens de propagande de l’État jusqu’au second tour.
Lundi 15 mai, alors que les résultats définitifs n’étaient pas acquis, Erdogan arrivait en tête avec environ 49,5 % des voix, contre un peu moins de 45 % à son principal adversaire. Kemal Kiliçdaroglu est le candidat d’une coalition de tous les partis d’opposition au dictateur. Rassemblant son propre parti, le CHP kémaliste social-démocrate, ainsi que plusieurs partis de droite, et ayant le soutien du parti pro-kurde HDP, dont le dirigeant Demirtas est actuellement emprisonné, cette union a pour l’instant échoué à faire tomber le président. Ayant déjà assuré deux mandats, celui-ci était d’ailleurs en principe inéligible si la loi électorale n’avait pas été quelque peu interprétée à son profit.
Kiliçdaroglu a d’ailleurs dénoncé, sans doute non sans raison, des manipulations et a promis de « gagner et gagner absolument ». Pour le deuxième tour, prévu le 28 mai, une certaine incertitude planait encore sur la décision du troisième candidat, Sinan Ogan, dissident du parti d’extrême droite MHP, qui a remporté plus de 5 % des suffrages. Il y a cependant peu de doute sur son choix de ralliement, puisqu’il a annoncé rejoindre « le plus offrant ». Quant à Erdogan, s’il est loin d’avoir perdu la place, personne ne peut contester son recul dans ce premier tour. Pourtant, tout le poids de son parti, l’AKP, son large cercle d’influences et la plupart des médias d’État et même privés ont été mis à son service.
Il est probable que, comme d’habitude, quelques trucages électoraux sont aussi venus aider Erdogan. Mais le fait est qu’il continue à rassembler une réelle base électorale, en particulier dans la région de la mer Noire et en Anatolie centrale où le conservatisme religieux est bien présent, comme on le voit dans les résultats du scrutin législatif, où l’AKP affirme avoir remporté la moitié des députés, sur une Assemblée qui en compte 600. Cependant, le rejet de la politique d’Erdogan et de sa clique, de la répression qui touche des milliers d’opposants, l’inquiétude provoquée par une inflation énorme qui dure depuis trois ans et écrase les salaires et les petites pensions, sont à l’origine de son score en baisse à la présidentielle. Dans la plupart des grandes villes, et en particulier à Istanbul, le dictateur s’est vu infliger des revers significatifs aux élections municipales.
Ce n’est en tout cas pas sur une victoire de Kiliçdaroglu que les travailleurs de Turquie pourront compter pour défendre leur droit à une vie décente. La raison n’est pas seulement que cette victoire est hypothétique, mais aussi qu’il n’y a pas grand-chose à attendre de cette alliance électorale qui va du CHP à l’extrême droite et qui ne promet pas de changement significatif. Face à un système politique et économique qui pèse très lourdement sur leurs épaules, les travailleurs de Turquie devront imposer leurs propres solutions.