Grand Paris Express : morts au travail, morts du capital16/05/20232023Journal/medias/journalnumero/images/2023/05/2859.jpg.445x577_q85_box-0%2C104%2C1383%2C1896_crop_detail.jpg

Dans les entreprises

Grand Paris Express : morts au travail, morts du capital

Après cinq morts, vingt blessés graves et des dizaines de blessés légers, la Société du Grand Paris (SGP) s’est sentie obligée d’organiser, mercredi 10 mai, une journée de formation sur la sécurité au travail.

La plupart des 140 chantiers de construction des lignes du Grand Paris Express, le futur métro francilien, se sont donc arrêtés le temps d’une journée pour causer sécurité. La SGP qui les gère est un établissement public, à la tête d’un budget de 100 milliards d’euros pour construire 200 kilomètres de lignes de métro automatique et les gares qui vont avec. Autant dire qu’au cinquième décès, celui d’un jeune ouvrier malien de 22 ans, les déclarations d’usage sur « l’importance accordée à la sécurité sur nos chantiers » ne suffisaient plus. La SGP a donc sacrifié une journée dans son précieux calendrier d’avancée des travaux pour parler des mesures de sécurité actuelles et en présenter d’autres qui, c’est promis, seront déployées prochainement.

Parmi les travailleurs du bâtiment et de la construction, l’initiative de la SGP fait rire jaune. « C’est comme les affiches qui recouvrent (…) tous les espaces disponibles, pour nous rappeler le port du casque, le harnais obligatoire ou l’interdiction de circuler sous des charges lourdes déplacées en hauteur. Tout ça serait très utile si c’était respecté », expliquait un jeune apprenti sur l’un de ces chantiers.

La SGP présente le fait d’avoir recours aux plus grandes entreprises du secteur – Eiffage, Bouygues, Vinci – comme une garantie de sérieux en matière de sécurité. Mais celles-ci mettent en œuvre sur ce « chantier du siècle », comme partout, les méthodes d’exploitation qui assurent les profits, à commencer par le recours à la sous-traitance en cascade. Sur ces chantiers tentaculaires, des centaines voire des milliers de sous-traitants interviennent, avec parfois sept ou huit échelons entre le donneur d’ordres, Eiffage ou Bouygues, et l’entreprise qui emploie les travailleurs présents sur le chantier. Ce sont autant de niveaux qui permettent de diluer les responsabilités en cas d’accident.

D’après Ali Tolu, délégué syndical CGT chez Vinci, près de 80 % des salariés des chantiers du Grand Paris Express sont « soit en stage, soit en intérim, soit en sous-traitance ». Des équipes qui ne se connaissent pas, dont les travailleurs ne parlent parfois pas la même langue, travaillent côte à côte sans savoir ce que les autres font et, pour beaucoup, sans comprendre ou sans pouvoir appliquer les consignes de sécurité affichées partout. Le même délégué dénonce les cadences, qui traduisent la pression pour boucler le super-métro avant les Jeux olympiques de 2024 et accroissent les risques d’accident : « Il n’y a qu’à voir le nombre de chantiers qui tournent le samedi. C’est devenu un vendredi-bis. Combien d’ouvriers font du six jours sur sept en permanence ? »

Tous les travailleurs du bâtiment connaissent cette réalité de l’exploitation, quel que soit leur statut, la taille du chantier où ils interviennent, leur langue ou leur couleur de peau. Au-delà de journées de formation alibi ou de « quarts d’heure sécurité » en début d’équipe – bien souvent dans une langue que tous ne comprennent pas – c’est leur pression collective qui pourra imposer de vraies mesures pour ne pas risquer leur vie à la gagner.

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