États-Unis 1943 : la grève des mineurs03/05/20232023Journal/medias/journalnumero/images/2023/05/2857.jpg.445x577_q85_box-0%2C104%2C1383%2C1896_crop_detail.jpg

il y a 80 ans

États-Unis 1943 : la grève des mineurs

Le 1er mai 1943, une grève pour les salaires éclatait dans des centaines de mines de charbon et d’anthracite américaines. En pleine guerre mondiale, une partie de la classe ouvrière entamait une lutte pour ses propres intérêts malgré une pression antigrève considérable.

Neuf ans avaient passé depuis qu’en 1934 les travailleurs, écrasés par le patronat, victimes de licenciements massifs à la suite de la crise de 1929, avaient commencé une contre-offensive. Jusqu’en 1941, une vague de grèves avait secoué tous les secteurs de l’économie américaine, malgré le boulet de l’appareil de la fédération syndicale pro-patronale AFL. Pour ne pas se laisser déborder par des ouvriers en lutte prêts à affronter leurs patrons et les forces de police que l’État jetait contre eux, une partie des bureaucrates syndicaux avaient rompu avec l’AFL et créé une centrale concurrente et plus combative, le CIO, dont John L. Lewis, à la tête du syndicat des mineurs depuis 1920, avait été l’un des initiateurs.

L’entrée en guerre des États-Unis en décembre 1941 avait mis un coup d’arrêt à cette puissante offensive ouvrière. Le président démocrate Roosevelt avait institué en janvier 1942 une commission nationale du travail, censée arbitrer les litiges entre patrons et ouvriers pour éviter les grèves. En juillet de la même année, cette commission, regroupant patrons, dirigeants syndicaux et hauts fonctionnaires, avait décrété un blocage des salaires.

L’industrie américaine tourna alors à plein régime pour la guerre et les profits. Les trois-quarts des commandes d’État, en valeur, bénéficièrent à 56 très grandes entreprises. Malgré le plein-emploi – même les femmes et les Noirs accédaient à des emplois qualifiés en l’absence des travailleurs mobilisés sous les drapeaux – et malgré les heures supplémentaires, les ménages ouvriers peinaient à s’en sortir. La guerre faisait aussi des victimes ouvrières sur ce front intérieur. En 1942, les semaines de 48 ou 52 heures de travail et l’intensification de la production blessèrent 75 000 mineurs sur les 450 000 en activité.

Les bureaucrates ouvriers contre les travailleurs

Depuis l’entrée en guerre des États-Unis, les dirigeants syndicaux venaient en aide à la bourgeoisie américaine. « Sans demande formelle de la part [de Roosevelt], nous avons volontairement accepté de donner à notre commandant en chef notre engagement à ne pas recourir à la grève », déclara le président du CIO le 17 décembre 1941. Jusqu’alors en pointe dans la plupart des grèves, la centrale syndicale se mit à militer contre elles. Leur nombre déclina en 1942, avant de repartir à la hausse en 1943, indiquant un mécontentement ouvrier croissant face à une inflation de l’ordre de 30 % depuis 1941.

Dans l’industrie de guerre, les syndicats renoncèrent aussi à ce que leurs membres reçoivent une paie double pour le travail du dimanche et des jours fériés ; ils approuvèrent l’interdiction faite aux salariés de changer d’emploi en quête d’un meilleur salaire.

Le Parti communiste américain, avocat zélé de l’alliance entre les États-Unis et l’URSS depuis qu’Hitler avait envahi celle-ci en juin 1941, contribua à faire respecter la paix sociale et milita pour le blocage des salaires. Dans l’industrie, les militants staliniens prônaient l’augmentation des cadences. Lors des rares grèves, ils franchissaient ostensiblement le piquet pour aller travailler.

Après avoir été aux avant-postes de la lutte de classe dans les années 1930, les militants staliniens perdaient ainsi leur crédit auprès des travailleurs. Le PC, dont le principal dirigeant avait été libéré de prison puisqu’il soutenait Roosevelt, se sabordait.

Les mineurs relèvent la tête

Le contrat de travail collectif liant les syndicats aux propriétaires de mines de charbon expira le 31 mars 1943. Le 30 avril c’était au tour de celui des mines d’anthracite. Au cours des mois précédents, les négociations entre les patrons et le syndicat des mineurs avaient achoppé sur la question des augmentations de salaire. Les patrons s’appuyaient sur l’État et sa commission du travail pour refuser d’augmenter le salaire de base de deux dollars par jour.

Lewis, à l’inverse des principaux dirigeants du CIO, avait soutenu l’adversaire républicain de Roosevelt aux élections de 1940. En 1942, il rompit avec le CIO et en fit sortir le syndicat des mineurs. Après une période où il avait mis lui aussi tout son poids pour arrêter des grèves non autorisées par l’appareil syndical, il avait ainsi les coudées plus franches pour accompagner le mécontentement ouvrier. Il lui fallait désormais se faire reconnaître par l’administration Roosevelt, quitte pour cela à laisser le mécontentement des mineurs s’exprimer sous son contrôle.

Des grèves commencèrent dans les puits en avril, sans attendre de consigne de Lewis. Le 1er mai, la production de charbon s’arrêta dans presque tout le pays. Contredisant les dirigeants du CIO, des syndicats locaux d’autres industries adoptèrent des motions de soutien aux mineurs grévistes. La presse bourgeoise hurla contre les grévistes sur lesquels il fallait « tirer comme sur les Japs ». Celle du PC les traita d’agents de Hitler. Roosevelt décréta immédiatement le passage des mines sous la coupe de l’État. Le Congrès passa dans l’urgence une loi faisant de la grève un crime dans les industries contrôlées par l’État.

De son côté, Lewis et l’appareil du syndicat des mineurs tenaient à montrer qu’ils avaient la grève bien en main, et ils l’arrêtèrent au bout de quatre jours pour négocier avec le gouvernement sans rien obtenir. Bien qu’en mai à Detroit 30 000 ouvriers d’usines automobiles aient fait grève pour leurs propres salaires, et 50 000 autres à Akron dans les usines de pneumatiques, Lewis les ignora. Il laissa un demi-million de mineurs reprendre les grèves du 1er au 7 juin, puis du 21 au 23 juin, avant de les arrêter à nouveau.

Le gouvernement crut avoir gagné la partie. Mais le second semestre 1943 allait être émaillé de grèves dans les mines, pas toujours déclenchées par l’appareil syndical. À la menace d’envoyer la troupe dans les districts miniers, les grévistes répondaient fièrement : « On ne peut pas extraire le charbon avec des baïonnettes. »

En octobre 1943, les grèves devinrent plus fréquentes. Lewis reprit l’initiative en relançant la grève à l’échelle nationale le 1er novembre. Deux jours plus tard, le gouvernement accepta un accord pour toutes les mines sous son contrôle, qui allait ensuite être étendu aux autres. Les mineurs obtinrent alors une grande partie de leurs revendications salariales.

La bourgeoisie secouée mais incontestée

Ce succès de la fin 1943 allait provoquer un regain de grèves dans tous les secteurs. Accentué encore par la fin de la guerre, ce mouvement allait culminer en 1946 avec 4,6 millions de grévistes.

Une partie de la classe ouvrière s’était battue malgré la guerre et le chantage de l’État qui voulait la faire taire au nom de la lutte contre le fascisme. Elle s’était toutefois heurtée à l’opposition frontale de presque toute la bureaucratie syndicale, secondée par les staliniens du PC. C’est en grande partie à ceux-là que la bourgeoisie américaine, alors qu’elle menait une guerre pour la domination mondiale, doit d’avoir pu surmonter cette opposition ouvrière et empêcher qu’elle se donne des perspectives politiques.

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