Ukraine-Europe de l’Est : qui fait son blé de la guerre agricole ?19/04/20232023Journal/medias/journalnumero/images/2023/04/2855.jpg.445x577_q85_box-0%2C104%2C1383%2C1896_crop_detail.jpg

Dans le monde

Ukraine-Europe de l’Est : qui fait son blé de la guerre agricole ?

En quelques jours, la Pologne, la Hongrie, la Slovaquie, la Roumanie, la Bulgarie et même la Tchéquie viennent de prendre des mesures qui interdisent de fait l’entrée sur leur territoire de céréales et autres produits agricoles venant d’Ukraine.

L’Union européenne, dont ces pays de l’Est font partie, avait décidé, après l’invasion russe d’une partie de l’Ukraine, qu’elle pourrait y envoyer ses productions agricoles en exonération de taxes.

C’est bien là que le bât blesse. Blé, maïs, sucre, oléagineux ukrainiens notamment sont ainsi si bon marché qu’ils ont fait s’effondrer les prix des mêmes productions dans les pays de l’Est, et par contrecoup les revenus de leurs paysans.

Cette chute de revenus est telle qu’au début du mois, lorsque le président Zelensky s’est rendu en visite officielle en Pologne, il a rencontré des manifestations hostiles de paysans polonais, orchestrées de façon quasi ouvertes par le gouvernement polonais, nationaliste et réactionnaire déclaré. En effet celui-ci se fait fort de « protéger les Polonais en toute circonstances », en particulier à l’approche des élections de l’automne, dont il attend qu’elles le reconduisent au pouvoir.

Dans le cas des autres voisins de l’Ukraine, la situation est analogue. Leurs dirigeants défendent avant tout les intérêts de leur économie, de leurs paysans, de leurs entreprises. Qu’ils agissent de la sorte n’est nullement surprenant, quand bien même, dans le cas de leur veto aux importations ukrainiennes, ils s’affichent au côté de Zelensky et de ses parrains de l’OTAN face à la Russie. Cela explique comment, dans cette affaire, peuvent se retrouver à prendre des mesures similaires des gouvernements, l’un polonais, l’autre hongrois, tous deux d’extrême droite mais qui ont des positions quasi opposées dans le conflit russo-ukrainien : la Pologne ne cessant de fournir des armes et des soutiens en tout genre à l’Ukraine, tandis qu’Orban, au nom des intérêts nationaux bien compris de la Hongrie, refuse de prendre le parti de l’Ukraine contre la Russie.

Même si cela prend une forme ouverte et quasi collective, les « petits » pays de l’UE n’agissent pas différemment, sur le fond, des grandes puissances européennes. Ainsi la France et l’Allemagne, tout en s’affichant alliées au côté de l’Ukraine, cherchent à se prémunir, chacune pour son compte, des effets indésirables de cette guerre pour leur propre bourgeoisie nationale. Car l’impérialisme américain mène sa politique et sa guerre selon ses seuls intérêts, donc y compris au détriment de ses alliés moins puissants.

Cette crise des céréales ukrainiennes ne concerne d’ailleurs pas que les pays d’Europe centrale et orientale. Lorsque l’armée russe a entrepris de bloquer Odessa, principal port d’exportation ukrainien pour les céréales, l’UE a négocié avec le Kremlin un assouplissement de son embargo. En même temps, les États d’Europe de l’Ouest, et d’abord l’Allemagne, se sont activés à organiser de nouvelles voies de transfert, par route et par rail, des céréales ukrainiennes vers l’Ouest.

Officiellement, il s’agissait de faire face au danger d’affamer les pays pauvres du Sud, principaux importateurs de blé ukrainien et russe. Mais, derrière ce prétexte philanthropique, il y avait une autre réalité : les grands groupes ouest-européens et américains de l’agro-business ne voulaient pas laisser filer l’occasion de réaliser d’énormes profits avec les céréales ukrainiennes, dont ils contrôlent d’ailleurs de plus en plus la production.

Un chiffre fourni par l’ONU, organisme peu suspect d’anti-capitalisme, est sans appel : 45 % seulement du blé ukrainien serait allé en Afrique et en Asie, le reste a inondé le marché en Europe centrale et occidentale. Cela a ruiné des millions de petits paysans à l’Est et a fait les bonnes affaires, outre des exportateurs, des industriels de la minoterie en France, en Allemagne, etc.

Quant au consommateur, il aura du mal à imaginer, en voyant grimper les prix de la farine, du pain et des gâteaux industriels, qu’ils sont désormais confectionnés en partie avec des blés à bas coût venus d’Ukraine et produits par des ouvriers agricoles aux salaires de misère.

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