Janvier 1933, l’arrivée de Hitler au pouvoir01/02/20232023Journal/medias/journalnumero/images/2023/02/2844.jpg.445x577_q85_box-0%2C104%2C1383%2C1896_crop_detail.jpg

il y a 90 ans

Janvier 1933, l’arrivée de Hitler au pouvoir

Le 30 janvier 1933, Hitler était nommé chancelier par le président de la République allemande, le maréchal Hindenburg. Dans la rue, la terreur nazie s’aggravait annonçant l’instauration d’une dictature féroce.

La classe ouvrière allemande, dont Trotsky disait qu’elle était « la plus puissante d’Europe par son rôle dans la production, son poids et la force de ses organisations », n’avait donc pas réussi à empêcher la catastrophe. Ce qui était en cause était bien la trahison politique des directions des partis ouvriers socialiste et communiste.

La nomination de Hitler comme chancelier reflétait la décision de la bourgeoisie allemande de s’appuyer sur les forces combattantes du fascisme pour écraser la classe ouvrière.

La crise économique mondiale de 1929 avait frappé l’économie allemande de plein fouet. En 1932, le pays comptait six millions de chômeurs, presque un salarié sur trois. La catastrophe ruinait aussi toute une partie de la petite bourgeoisie, petits boutiquiers, artisans ou paysans.

Du fait de l’absence de colonies et des contraintes imposées par les vainqueurs de la guerre de 1914-1918, la bourgeoisie allemande était asphyxiée. La crise la poussait de plus en plus à exiger un repartage du monde, et à se diriger vers une nouvelle guerre. Pour cela, il lui fallait d’abord avoir les mains libres, et vaincre toute résistance de la classe ouvrière.

Or celle-ci représentait depuis longtemps une menace. C’est elle qui, en 1918, avait renversé la monarchie. Malgré plusieurs épisodes de répression, les événements révolutionnaires s’étaient succédé jusqu’en 1923, et la classe ouvrière restait organisée massivement au sein de ses syndicats et de ses partis. Dans les années 1920, le Parti social-démocrate comptait un million de membres et dirigeait des syndicats comptant quatre millions et demi de membres. Quant au Parti communiste, il regroupait des dizaines de milliers de militants, qui constituaient la fraction la plus combative de la classe ouvrière.

La situation devenant de plus en plus explosive, et alors que le parti nazi commençait à montrer son efficacité contre les militants ouvriers, le choix de le financer finit par s’imposer dans les cercles dirigeants du grand patronat allemand, les Krupp, Thyssen, Siemens ou IG Farben. Trotsky écrivait en février 1933 : « Ce n’est pas d’un cœur léger que la clique dirigeante pactisa avec ces fascistes qui sentent mauvais. Derrière les parvenus déchaînés, il y a beaucoup trop de poings ; c’est le côté dangereux des chemises brunes [couleur de l’uniforme des milices nazies] ; mais c’est là aussi leur principal avantage, ou, plus exactement leur unique avantage. »

Le Parti nazi, qui n’était à sa création qu’un parti d’extrême droite parmi tant d’autres, et ne totalisait en 1928 que 2,6 % des voix aux élections, avait fini par faire ses preuves aux yeux de la bourgeoisie. Il avait su enrôler dans ses milices des Sections d’assaut (SA) des centaines de milliers de petits bourgeois, ruinés et enragés par leur déclassement social. Les SA regroupaient 200 000 membres en 1930, 400 000 deux ans plus tard.

Léon Trotsky écrivait le 10 juin 1933 dans Qu’est-ce que le nazisme ? : « Le fascisme allemand, comme le fascisme italien, s’est hissé au pouvoir sur le dos de la petite bourgeoisie dont il s’est servi comme d’un bélier contre la classe ouvrière et les institutions de la démocratie. Mais le fascisme au pouvoir n’est rien moins que le gouvernement de la petite bourgeoisie. Au contraire c’est la dictature impitoyable du capital monopolistique. »

Les forces et la détermination n’auraient pas manqué aux travailleurs allemands pour s’opposer à la montée du nazisme si leurs partis leur avaient offert de véritables perspectives. Les dirigeants sociaux-démocrates avaient rallié l’union sacrée et appelé les travailleurs à partir à la guerre en 1914, rejoignant ainsi le camp de la bourgeoisie et de la défense de son ordre social. Ils contribuèrent à l’écrasement de la révolution allemande au lendemain de la Première guerre mondiale. La social-­démocratie, qui restait le parti ouvrier le plus influent, mit ensuite tout son poids politique à convaincre la classe ouvrière que, pour se protéger du danger fasciste, elle ­devait s’en remettre aux institutions bourgeoises, voire aux hommes de la bourgeoisie eux-mêmes. Au nom de la politique du moindre mal, début 1932, lors de l’élection pour la présidence du Reich, elle appela à faire barrage à Hitler en votant dès le premier tour pour le maréchal Hindenburg, celui-là même qui allait appeler Hitler au pouvoir un an plus tard. Les dirigeants socialistes justifiaient même la répression des grèves ou des manifestations ouvrières.

Le KPD, le Parti communiste allemand, fondé en 1919, avait cessé en 1933 d’être un parti révolutionnaire. Sa politique se résumait à suivre tous les tournants de la politique stalinienne. Le KPD se refusa à envisager la défense armée des travailleurs contre le fascisme, dans l’unité avec les socialistes, au prétexte que ceux-ci étaient les « frères jumeaux » des nazis. Ses campagnes dirigées systématiquement contre la social-démocratie l’empêchaient de gagner la confiance des ouvriers, encore majoritairement socialistes. Ceux-ci étaient quatre millions et demi dans les syndicats sociaux-démocrates contre 300 000 dans les syndicats communistes.

Le 27 février 1933 au soir, un mois après la remise du pouvoir à Hitler, l’incendie du Reichstag servit de prétexte pour déclencher une terrible offensive contre les organisations ouvrières. Hitler déclara que « le moment était venu d’en finir avec le communisme ». Les premiers camps de concentration furent créés, dans lesquels des dizaines de milliers de militants allaient être torturés et assassinés.

En juin 1933, Trotsky écrivait dans Qu’est-ce que le national-socialisme ? : « La concentration forcée de toutes les ressources et de tous les moyens du peuple suivant les intérêts de l’impérialisme, mission historique réelle de la dictature fasciste, signifie la préparation à la guerre. » Et il ajoutait quelques semaines plus tard : « Le temps nécessaire à l’armement de l’Allemagne détermine le délai qui sépare d’une nouvelle catastrophe européenne ; il ne s’agit pas de mois, ni de décennies. Quelques années sont suffisantes pour que l’Europe se retrouve à nouveau plongée dans la guerre, si les forces intérieures à l’Allemagne elle-même n’en empêchent pas Hitler à temps. »

Toute l’histoire de l’Allemagne, de 1918 à 1933, avait été celle des occasions révolutionnaires manquées. Mais l’alternative était bien entre la révolution ou la guerre, le socialisme ou la barbarie. Faute d’une révolution, l’Europe et le monde s’acheminaient désormais vers la barbarie.

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