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Brésil : les deux faces de la bourgeoisie
Les élections générales du dimanche 2 octobre ont montré l’ampleur du vote d’extrême droite au Brésil. Le Parti libéral, sous l’étiquette duquel Bolsonaro s’est présenté, possède désormais le premier groupe au Sénat et à l’Assemblée.
Claudio Castro, le candidat bolsonariste au poste de gouverneur de Rio, a été élu au premier tour. Et dans tous les États, les élus bolsonaristes sont nombreux, sous les étiquettes politiques les plus diverses.
Pour la présidence, bien des partisans de Lula voulaient croire à une victoire dès le premier tour. Or il obtient 48,43 % des votes, à peu près ce que les sondages annonçaient. En revanche Bolsonaro en a recueilli 43,20 %, six à dix points de plus que prévu. Un second tour les départagera donc le 30 octobre, et il faut s’attendre à quatre semaines d’affrontements violents.
« Nous avons vaincu les mensonges », a déclaré Bolsonaro à l’annonce du résultat, entamant sa campagne du second tour. Pour lui, les « mensonges » ne sont pas seulement les espoirs trompés des partisans de Lula, Bolsonaro ayant annoncé lui aussi qu’il l’emporterait dès le premier tour : ce sont pêle-mêle les sondages, la presse, la Cour suprême, les juges, bref toutes les « forces du mal » qui s’opposent au président sortant.
Bolsonaro a une importante base d’électeurs parmi les évangélistes, les fanatiques des armes, les racistes anti-Noirs et anti-Indiens, les nostalgiques du fascisme ou de l’Empire, les milices qui contrôlent la moitié des favelas de Rio et les complotistes anti-vaccins. Ce noyau dur est estimé à 20-25 % de l’électorat. S’y sont ajoutés nombre de gens qui ne sont pas des inconditionnels, mais qui se sont largement mobilisés, comme en 2018 : policiers et militaires que Bolsonaro a favorisés, et qui sont sensibles à sa démagogie sécuritaire, petits propriétaires qu’effraie la prétendue menace du communisme représentée par Lula, déçus des précédents gouvernements Lula, travailleurs et petits bourgeois pour qui le Parti des travailleurs n’est qu’une mafia de voleurs et de corrompus. Bolsonaro a aussi porté en septembre de 400 à 600 reais (120 euros) l’allocation Aide Brésil aux très pauvres et a sans doute gagné ainsi des voix parmi eux.
Beaucoup de ces électeurs n’ont pas de doutes quand ils entendent le président débiter des contre-vérités flagrantes, vanter ses soit-disant succès économiques, l’augmentation prétendue du pouvoir d’achat, son action en faveur de la forêt amazonienne ou sa lutte victorieuse contre le Covid, alors que la déforestation a progressé comme jamais et que son refus actif de toute protection est en partie responsable des plus de 680 000 morts du Covid. Les partisans de Lula sont présentés comme des bêtes malfaisantes, des pervers, sur qui Bolsonaro fait souvent le geste de tirer. Plusieurs ont été assassinés durant les semaines de campagne, et les meurtres risquent de se multiplier.
Bolsonaro est prêt à faire feu de tout bois pour ne pas perdre la présidence. Sur le papier, la victoire de Lula à la fin du mois semble assurée car les deux autres candidats importants, Simone Tebet (MDB, 4 %) et Ciro Gomes (PDT, 3 %), devraient rallier son camp et leurs électeurs sont des opposants à Bolsonaro. Le patronat de Sao Paulo, la capitale économique du pays, et la grande presse, en particulier le puissant groupe des médias Globo, vont certainement continuer leur campagne contre le président sortant. La grande bourgeoisie brésilienne a clairement choisi Lula, voulant se débarrasser de Bolsonaro. Elle voit aussi en Lula un homme qui, disposant d’un soutien dans les couches populaires, peut apaiser les tensions sociales et mieux faire passer sa politique.
C’est dire que, si les travailleurs brésiliens ont en Bolsonaro un ennemi décidé, ils n’auront encore rien gagné si Lula l’emporte le 30 octobre. Comme lors de ses deux mandats précédents, Lula président pourra seulement être plus apte, au moins pour un certain temps, à défendre dans la crise les intérêts de la bourgeoisie et à lui fournir un écran derrière lequel elle pourra mener ses attaques. C’est pourtant bien à elle que les travailleurs et les couches populaires devront s’affronter.