Compagnies énergétiques : superprofits, supervoleurs14/09/20222022Journal/medias/journalarticle/images/2022/09/P16-1_Bougie_OK_Lupo.jpg.420x236_q85_box-0%2C169%2C417%2C404_crop_detail.jpg

Leur société

Compagnies énergétiques : superprofits, supervoleurs

L’Agence Internationale de l’Énergie, qui n’est certes pas une officine gauchiste, estime que les compagnies énergétiques européennes feront 200 milliards d’euros de bénéfices supplémentaires en 2022, sans avoir eu rien d’autre à faire que de profiter de la hausse des prix.

Illustration - superprofits, supervoleurs

Si l’estimation n’est pas contestée, le jugement moral est exagéré. Les compagnies énergétiques se sont quand même donné le mal de spéculer, de refuser la vente à certains clients pour vendre plus cher à d’autres, de profiter de toutes les subtilités que la loi européenne et les accords entre États ont mises à leur service depuis la libéralisation du marché de l’électricité.

Cela pose aux États en question quelques problèmes délicats, de plusieurs ordres. D’abord chacun est comptable du bon fonctionnement des affaires de ses capitalistes. Or un certain nombre de ces derniers se sentent volés comme au coin d’un bois par leurs fournisseurs d’électricité et de gaz. Certains États prétendent donc prendre un peu sur les superprofits des énergéticiens pour soulager d’autres fractions du patronat.

Ainsi le gouvernement italien a institué un impôt supplémentaire de 10 % depuis mars, porté à 25 % cet été, sur les bénéfices des énergéticiens. Mais ces derniers ont contesté ce décret en justice, suspendant les paiements. La Grande-Bretagne a quant à elle surimposé les seuls producteurs de pétrole brut de la mer du Nord, sans résultat apparent. Le gouvernement espagnol aurait des projets précis… pour 2023, les autorités allemandes cherchent la bonne formule, etc. Après quelques déclarations contradictoires, l’équipe Macron, ne voulant froisser ni Total, ni Engie, ni aucune susceptibilité capitaliste, attend un accord au niveau européen. Mais tous aident déjà, d’une façon ou d’une autre, les gros industriels consommateurs d’énergie à payer leurs factures, ne serait-ce qu’en les laissant répercuter les hausses sur leurs propres produits, ou en payant pour la mise en chômage de leurs salariés.

La deuxième question est celle de la régulation des prix de l’énergie, voire de leur encadrement, de façon à espérer un fonctionnement tant soit peu fluide de l’économie. Mais c’est précisément à l’Union européenne que l’on doit l’usine à gaz actuelle. C’est elle qui a aligné de fait le prix de l’électricité sur celui du gaz, autorisé la concurrence, créé les conditions de la spéculation, et qui ne sait plus comment sortir du guêpier. Au-delà, c’est la situation du monde qui crée la pénurie, les tensions internationales, les affrontements et la concurrence. C’est l’évolution du capitalisme qui fait qu’une poignée de sociétés géantes ont la main sur le robinet énergétique. Les discussions entre ministres européens, commencées le 9 septembre, ont donc peu de chances d’aboutir à quoi que ce soit de concret. Elles se sont pour l’instant soldées par un constat d’accord sur l’urgence de la situation et la demande que des propositions soient formulées d’ici la fin du mois. Tout ce qu’il y a de plus diplomatique et de moins énergique, pour ne pas dire énergétique.

Enfin, les gouvernements ont à faire face à leur opinion publique. Dans tous les pays, les travailleurs voient leur niveau de vie dégringoler alors que les bénéfices des grandes sociétés explosent. Ils voient aussi que les États, à court de liquidités, vont chercher dans leurs poches alors que les fortunes privées augmentent. Cette situation est lourde de menaces pour l’ordre social et la tranquillité bourgeoise. D’où les propositions, venant de tous côtés, depuis le secrétaire général de l’ONU jusqu’aux partis divers et de divers pays, de taxer les superprofits des énergéticiens.

Jusque-là, Macron et son ministre Le Maire, soutenus par le journal de la famille Dassault, Le Figaro, et celui de Bernard Arnault, Les Échos, avaient vaillamment résisté. Mais le contraste entre la situation des travailleurs et les fastes de Total, Shell, Engie et autres devient trop criant. Macron et son homologue allemand ont fini par proposer que l’Union européenne, en plus de tenter de réguler les prix, demande aux énergéticiens une contribution exceptionnelle sur des bénéfices que ces gestionnaires de fortune du capital qualifient désormais « d’indus ». C’était aussi l’objet de la réunion du 9 septembre à Bruxelles. Mais les énergéticiens peuvent dormir tranquille, pas plus que les États pris séparément, l’Union européenne ne menacera leurs bénéfices, dus, indus, publics ou cachés : aucune décision n’a été prise.

Les travailleurs n’ont, de toute façon, rien à attendre de gouvernements qui sont là pour gérer les affaires du grand capital et n’ont, tout au plus, que des discours à proposer en guise de chauffage pour l’hiver prochain. Pas plus qu’ils n’ont à abandonner la revendication de salaires dignes pour le vague espoir qu’une taxe sur les superprofits vienne aider à diminuer leurs factures.

La colère qui commence à s’exprimer en Europe, par les grèves en Grande-Bretagne par exemple, est sans doute pour quelque chose dans ce changement d’attitude de l’Union européenne, des gouvernements en place et de leurs oppositions. Mais ce n’est évidemment pas sur ceux-ci qu’il faut compter pour régler la question, c’est-à-dire pour exproprier les trusts et gérer l’économie suivant les besoins de la population, et non ceux du capital.

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