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- Lutte ouvrière n°2816
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il y a 80 ans
Vel’ d’Hiv’ : l’ignominie de l’appareil d’État
Les 16 et 17 juillet 1942 avait lieu à Paris la rafle du Vel’ d’Hiv’. Sur près de 13 000 Juifs arrêtés par la police française avant d’être envoyés dans les camps de la mort, les familles, plus de 8 000, avec 4 000 adultes et 4 000 enfants, furent parquées au vélodrome d’Hiver, dans le 15e arrondissement.
Depuis la défaite de juin 1940, la moitié nord de la France était occupée par l’armée allemande, tandis que le gouvernement français, sous l’égide du maréchal Pétain et du chef du gouvernement Laval, siégeait à Vichy. En avril 1942, le général Oberg avait été nommé chef des SS et de la police allemande d’occupation, et Laval avait nommé René Bousquet secrétaire général de la police française. À ce titre, jusqu’en décembre 1943, ce dernier allait être le maître d’œuvre de la collaboration de la police française avec les nazis pour la déportation des Juifs et la répression des communistes et des résistants. Bousquet n’allait avoir d’état d’âme qu’en 1943 quand, après la défaite de Stalingrad, le vent tourna pour les nazis.
Le zèle du régime de Vichy à courir au devant de la politique antisémite des nazis avait commencé bien avant. En juillet 1940, Pétain avait lancé la dénationalisation des personnes naturalisées. 15 000 d’entre elles, dont beaucoup de Juifs, allaient perdre la nationalité française entre 1940 et 1944.
C’est un fichier ethnique établi en septembre 1940 qui allait permettre des arrestations de masse. Les Juifs furent écartés de la fonction publique. En zone libre étaient mis en place des camps d’internement des Juifs d’origine étrangère tandis qu’en zone nord la spoliation des familles juives commençait.
Le 14 mai 1941 eut lieu la première rafle visant les Juifs d’origine polonaise, tchèque ou apatrides qui avaient fui la montée du fascisme en Europe. Lors de cette rafle du « billet vert », la couleur de la convocation apparemment anodine pour « examen de la situation », 3 700 personnes furent emmenées pour être internées dans les camps du Loiret, à PitHiviers et Beaune-la-Rolande, avant d’être déportées à Auschwitz, 700 d’entre elles réussissant néanmoins à s’évader.
Dès août 1941, l’est de Paris fut quadrillé par des barrages policiers et 4 700 Juifs, dont un tiers français furent arrêtés. En juin 1942, le port de l’étoile jaune avec la mention « Juif » était imposé à 100 000 personnes censées la porter dès l’âge de 6 ans.
Entre décembre 1941 et juin 1942, les nazis installaient cinq camps d’extermination en Pologne pour préparer la « solution finale ». À partir d’avril 1942, Oberg et Bousquet négocièrent sur le nombre de Juifs à déporter. Alors qu’au Danemark, par exemple, le gouvernement ne suivait pas les demandes des nazis, ceux-ci pouvaient s’étonner du zèle de Pétain, Laval, Bousquet et de l’État français.
Vichy savait quel sort attendait les déportés juifs. Bousquet avait rencontré Heydrich, l’organisateur de la solution finale et l’objectif de la rafle du Vel’ d’Hiv’ était fixé : arrêter 37 000 adultes pour les emporter vers la mort.
Le 15 juillet déjà, des rumeurs circulaient dans les quartiers juifs de Paris. Un tract communiste avait averti : « Frères juifs, le danger est grand ». Des policiers annonçaient que le lendemain on arrêterait hommes, femmes et enfants.
Le 16 juillet, 4 500 policiers sont mobilisés et autant de gendarmes. À 5 heures, ils frappent aux portes, emmènent les adultes, les enfants de plus de 2 ans, les infirmes, les mutilés de guerre. Des bus conduisent les familles vers le Vélodrome d’Hiver et les adultes sans enfant vers Drancy où une cité a été transformée en camp. Au total, on arrête en deux jours 9 000 adultes et 4 000 enfants. On est loin des 37 000 adultes. Laval et Bousquet bataillent auprès des nazis pour déporter les enfants, tout en présentant cela cyniquement comme un geste humanitaire : on ne sépare pas les enfants et leurs parents… en route vers la mort !
Les familles, désemparées, s’entassent au vélodrome, sans eau, sans pain. On pleure, on hurle, on se suicide. Le 17 juillet arrive un peu de nourriture, sans rien pour la servir. Le vélodrome est ensuite vidé en six jours et ses occupants emmenés vers les camps du Loiret. À Drancy, les déportations commencent dès le 18 juillet via la gare du Bourget. Sur les 13 000 déportés de cette rafle, 1 % seulement reviendront.
Au total pendant ses vingt mois au poste de secrétaire de la police, Bousquet a contribué directement ou indirectement à la déportation de près de 60 000 Juifs. Ce palmarès lui vaut les félicitations du général SS Oberg et la possibilité pour la police française de mener indépendamment sa traque des Juifs, des communistes et des résistants. Bousquet sera ainsi l’artisan d’une grande rafle à Marseille en zone libre fin août 1942.
Dans les procès des collaborateurs conduits à partir de 1945, Pétain sera épargné et Laval fusillé, mais Bousquet ne sera pas inquiété. Ami de Mitterrand, ex-pétainiste devenu résistant, Bousquet fut écarté de la haute fonction publique mais put rebondir dans la banque puis la presse.
Pendant plus d’un demi-siècle, le silence de la raison d’État a occulté ce sombre épisode. Bien des collaborateurs ont été recyclés, comme le préfet Papon par exemple. Vichy devait apparaître comme une sinistre parenthèse alors que c’était bel et bien le même appareil d’État qui continuait son œuvre avec des épisodes aussi sordides, notamment le 17 octobre 1961 le massacre des Algériens conduit par le même Papon.
Il fallut attendre 53 ans et l’année 1995 pour qu’un président, Chirac, admette publiquement que l’État s’était mal comporté et exprime des regrets dans l’espoir de clore le débat. Macron, venu inaugurer le 17 juillet un musée de la mémoire de la déportation à PitHiviers, a cité Chirac, en ajoutant seulement ses propres considérations sur l’antisémitisme aujourd’hui. Mais cette rafle de juillet 1942 reste un exemple historique de la façon dont l’appareil d’État de la bourgeoisie peut remplir les pires besognes. Celui issu de la Troisième République, une « démocratie » née il est vrai sur les cendres de la Commune, s’en est montré capable tout autant que celui de l’Allemagne nazie. S’il ordonne de mener toute une population au massacre, la chaîne de commandement suit sans état d’âme car la répression, les arrestations, les emprisonnements, sont sa raison d’être afin d’assurer le pouvoir de la bourgeoisie. Quels que soient ses oripeaux, prétendument démocratiques ou non, cet État ne mérite que d’être abattu.