Juin-juillet 1922 : 1er congrès de la CGTU29/06/20222022Journal/medias/journalnumero/images/2022/06/2813.jpg.445x577_q85_box-0%2C104%2C1383%2C1896_crop_detail.jpg

il y a cent ans

Juin-juillet 1922 : 1er congrès de la CGTU

Il y a cent ans, du 26 juin au 1er juillet 1922, la CGTU tenait son premier congrès, à Saint-Etienne, entérinant la scission du mouvement syndical entre les réformistes de la vieille CGT et les révolutionnaires de cette nouvelle CGT unitaire.

La lutte entre les deux tendances était aussi vieille que la CGT, et aussi vieille en fait que le mouvement ouvrier. Dans la CGT d’avant 1914, la tendance révolutionnaire, très minoritaire, était regroupée autour de l’équipe de la Vie ouvrière, périodique animé entre autres par Pierre Monatte et Alfred Rosmer. Elle cohabitait sans trop de heurts avec une tendance ouvertement réformiste, très minoritaire également, et une majorité se réclamant d’un syndicalisme pur restant loin de la politique. Les statuts de la confédération n’en proclamaient pas moins combattre pour l’expropriation des capitalistes et la réorganisation de la société sous la direction des travailleurs.

Mais, en août 1914, les révolutionnaires en paroles et les vrais bureaucrates se rallièrent à l’Union sacrée derrière l’État, les généraux et le capital financier et appelèrent les travailleurs à soutenir la guerre et à accepter d’aller égorger leurs frères allemands sur les champs de bataille. Cette trahison du sommet des organisations ouvrières reflétait leur intégration dans la société bourgeoise et se retrouvait dans tous les pays impérialistes.

Les internationalistes, dont Monatte et Rosmer, furent isolés, pourchassés, envoyés au front, voire emprisonnés. Les majoritaires, ceux qui tenaient l’appareil, se familiarisèrent avec les joies des bureaux ministériels, la collaboration de classe, les décorations et les avantages sociaux. Ils n’allaient plus en perdre le goût.

La remontée de la combativité ouvrière à partir de 1915, puis les mutineries sur le front, la révolution russe de 1917 et la vague révolutionnaire qui suivit en Europe changèrent les rapports de force. À la fin de la guerre, la division du mouvement ouvrier mondial entre les internationalistes partisans de la révolution russe et de l’Internationale communiste, et les socialistes et syndicalistes d’union sacrée, soutiens de leur propre bourgeoisie et de l’ordre social, traversa aussi la CGT.

Depuis la guerre, l’effectif du syndicat avait plus que doublé du fait de la poussée ouvrière, alors même que la direction réformiste avait sabordé la grève des métallurgistes en 1919 et celle des cheminots en 1920. Les nouveaux adhérents étaient souvent de tendance radicale et, lors des congrès, leur nombre menaçait le pouvoir des bureaucrates. D’autant que les révolutionnaires s’étaient regroupés pour tenter de prendre la direction des opérations et offrir un débouché aux luttes des travailleurs. Cette même poussée révolutionnaire conduisit à la fondation du Parti communiste au tout début de 1921.

Au congrès de Lille en 1921, les réformistes ne gardèrent la direction, par 1 572 mandats contre 1 325, que grâce à leur mainmise sur l’appareil et au trafic des mandats. Craignant de perdre la boutique à la prochaine occasion, ils prirent les devants et commencèrent à bâillonner les syndicats et unions départementales acquis aux révolutionnaires. Bien souvent, ils suscitaient pour cela des syndicats ou des unions départementales fantômes mais fidèles à l’appareil, tactique éprouvée et qui allait avoir un grand avenir.

Rosmer, alors un des dirigeants de l’Internationale communiste et de sa section française, expliquait, suivant en cela Lénine et Trotsky, que le devoir des communistes était de gagner la majorité dans les syndicats de masse existants, pas de constituer à côté d’eux des sectes, aussi pures soient-elles. Monatte, qui n’avait pas encore rejoint le PC mais était alors solidaire de l’Internationale communiste, allait dans le même sens. Mais ils étaient aussi accompagnés de militants qui, de bonne foi ou pour suivre leur base et conserver leur place, se prononçaient pour la scission et la construction d’une CGT révolutionnaire.

Le débat fit rage durant la fin de l’année 1921 entre les révolutionnaires de la CGT, communistes, syndicalistes révolutionnaires, anarchistes et mille et une autres nuances, sur le fait de créer un nouveau syndicat ou de tenter de prendre la direction de la CGT. Les bureaucrates mirent tout le monde d’accord au mois de novembre en excluant les minoritaires de la fédération des chemins de fer. Onze fédérations et quatorze unions départementales se solidarisèrent avec les exclus, constituant de fait une nouvelle confédération dès décembre 1921, avant de réunir le congrès de juin 1922.

La quasi-égalité numérique entre les deux confédérations, de deux à trois cent mille adhérents de chaque côté, cachait une disparité sociale : la vieille CGT gardait entre autres les fédérations de fonctionnaires et surtout la bienveillance des pouvoirs publics ; la nouvelle CGTU attirait la jeunesse des bastions prolétariens les plus remuants, mais aussi les attentions de la police.

La lutte de tendance continua dans la jeune confédération, cette fois entre les communistes qui militaient pour l’adhésion à l’ISR, l’Internationale syndicale rouge, organiquement liée à l’Internationale communiste, et ceux qui, tout en affirmant être solidaires de la révolution russe, refusaient cette adhésion. Rosmer et Monatte militaient en faveur d’une fraction communiste disciplinée et cohérente, militant ouvertement et honnêtement dans une organisation syndicale la plus large possible, pour l’adhésion à l’ISR découlant du soutien à la révolution russe et, surtout, pour que le syndicat soit l’instrument des luttes des travailleurs. C’était même dans ce but que Monatte avait donné son adhésion au PC, orientant l’activité des communistes dans la CGTU et s’occupant de la rubrique ouvrière de L’Humanité.

Il restait bien entendu des ouvriers communistes dont le syndicat n’avait pas été exclu et qui étaient adhérents de la vieille CGT. Ils devaient rester dans leur syndicat, y défendre la politique communiste, militer pour l’unité du mouvement sur des bases révolutionnaires et, avant tout, participer aux luttes de leurs camarades et leur offrir une perspective.

La décrue du mouvement révolutionnaire, les défaites successives en Europe, entraînèrent la montée au pouvoir des bureaucrates en Union soviétique et dans l’Internationale et l’ouverture de la chasse aux trotskystes. Rosmer, Monatte et bien d’autres furent exclus du PCF, et la CGTU se transforma peu à peu en succursale du parti stalinisé. Mais, tout comme le parti, elle resta tout au long des années 1920 et jusqu’au début de la décennie suivante, l’organisation des jeunes travailleurs les plus combatifs, prêts à affronter le patronat et la police, à soutenir les révoltés des colonies, à mettre en avant les femmes travailleuses, à sortir le drapeau rouge en toute occasion. Les dirigeants, eux, devinrent de fervents staliniens. Lors de la réunification avec la CGT réformiste, en 1936, ils allaient se confirmer comme de nouveaux piliers de l’ordre bourgeois.

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