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Dans le monde
Ukraine : le jeu de bascule de Macron
Le 30 mai, la nouvelle ministre française des Affaires étrangères, Catherine Colonna, est allée à Kiev rencontrer son homologue ukrainien et le président Zelensky.
Dans un communiqué, le Quai d’Orsay a annoncé que Macron souhaitait ainsi « témoigner de la solidarité de la France à l’égard du peuple ukrainien et de sa pleine détermination à renforcer son appui à l’Ukraine face à l’agression russe, aussi bien sur le plan humanitaire et financier qu’en matière de fournitures d’équipements de défense ».
Depuis l’intervention militaire russe en Ukraine, l’Américain Biden, le Britannique Johnson et d’autres dirigeants occidentaux ont déjà fait un ou plusieurs voyages à Kiev pour y proclamer leur soutien au gouvernement ukrainien. Cependant, le président français et le chancelier allemand ne s’y hasardaient pas.
Macron invoquait l’élection présidentielle qui le retenait en France, sans convaincre, au point que Zelensky lui reprochait sa complaisance envers le Kremlin. Le président français, également président pour six mois de l’Union européenne (UE), s’est fait fort d’amener Poutine à négocier, et Zelensky ne s’est pas privé de pointer ce qu’il appelle la mollesse de l’aide militaire française : avec cinq cents militaires et quelques avions dans des pays voisins de l’Ukraine, et six canons Caesar livrés à son armée, elle fait pâle figure au regard de l’énorme soutien militaire, financier et politique que l’Otan et les États-Unis accordent à Kiev.
Mais, si Macron ne rompt pas les ponts avec Poutine, ce n’est pas pour les beaux yeux de ce dernier : il agit en défenseur des intérêts de la bourgeoisie française, qu’il représente au sommet de l’État et dont les intérêts énergétiques, industriels, bancaires et commerciaux sont plus importants en Russie qu’en Ukraine.
En même temps, la bourgeoisie française ne peut être indifférente à ce qui sortira d’un éventuel règlement du conflit russo-ukrainien. Macron doit donc, depuis le début de cette guerre, éviter de se trouver écarté des tractations diplomatiques entre les deux camps.
Après le tournant proatlantique des dirigeants ukrainiens en 2014, qui avait entraîné en retour la sécession armée du Donbass, la France et l’Allemagne avaient patronné les accords de Minsk entre les parties belligérantes. Paris et Berlin avaient alors créé avec Kiev et Moscou un cadre diplomatique, dit « format Normandie », censé apaiser la situation dans le Donbass, sans que cela ait eu de résultat.
Macron n’a pas pour autant renoncé à chercher une solution qui place l’impérialisme français en bonne position pour profiter des suites de cette guerre. Pourtant, la concurrence est rude, vu la place prépondérante que Londres et surtout Washington ont déjà prise auprès de l’Ukraine et de plusieurs États de l’Union européenne.
Tout cela donne un aspect pour le moins ondoyant à la politique de l’État français face à cette guerre, contraint de louvoyer entre des impératifs parfois contradictoires et des camps qui s’affrontent. Pourvu que cela favorise les affaires des capitalistes français, Macron saura habiller ses propres contorsions en clamant qu’elles ménagent les voies de la paix. Le langage hypocrite de la diplomatie sert précisément à cela.
Et qui sait, Macron espère peut-être aussi que, d’avoir envoyé sa ministre auprès de Zelensky à la veille des législatives, vaudra à ses candidats la faveur d’électeurs émus par le sort des populations ukrainiennes, sinon par les sirènes de l’OTAN.