Russie : toujours plus de bâillon et de matraque05/01/20222022Journal/medias/journalnumero/images/2022/01/2788.jpg.445x577_q85_box-0%2C104%2C1383%2C1896_crop_detail.jpg

Dans le monde

Russie : toujours plus de bâillon et de matraque

Le Kremlin a fini l’année 2021 en beauté. En tout cas, du point de vue de son chef, ainsi que de la police politique où Poutine a débuté sa carrière et sur laquelle il ne cesse de s’appuyer. Ils viennent d’obtenir d’une Cour suprême aux ordres la dissolution de Memorial, une ONG de défense des droits de l’homme et de préservation de la mémoire des victimes du stalinisme.

Memorial avait été créé en 1989 par Andreï Sakharov, peu après que le Kremlin l’avait autorisé à revenir d’un exil imposé de sept ans. Ce physicien, d’abord encensé par le régime pour avoir mis au point la bombe H soviétique, puis devenu une figure de proue de la dissidence (l’opposition très majoritairement pro-occidentale), avait profité de ce qu’il soufflait alors un vent de relative liberté avec la politique de glasnost (droit à la parole). Cette denière était voulue par le nouveau chef du parti unique, donc de l’URSS, Mikhaïl Gorbatchev, pour tenter de trouver des soutiens à son pouvoir contesté.

De nombreuses illusions avaient fleuri alors, surtout dans la petite bourgeoisie et l’intelligentsia, quant à l’avenir de démocratie et de prospérité promis par les hauts bureaucrates qui se disputaient le pouvoir en URSS. Ces illusions s’effondrèrent avec l’URSS fin 1991, et avec le chaos qui s’ensuivit. La mise au pas de l’appareil étatique à partir de 2000, avec l’arrivée aux affaires de Poutine, un ancien colonel du KGB, la police politique, ouvrit une ère d’autoritarisme policier.

Dans plusieurs États de l’ex-bloc dit de l’Est (Pologne, Hongrie, pays baltes…), les autorités ont, au tournant des années 1990, souvent créé ou soutenu des institutions (musées du totalitarisme, fonds, organisations…) dénonçant violemment le passé dit communiste, pour que ces nouveaux régimes puissent s’affirmer suivant une pente autoritaire et nationaliste plus ou moins marquée.

En Russie, à la même époque, le régime d’Eltsine voulut faire le procès du PCUS (le parti unique soviétique dit communiste) pour faire oublier qu’il en était directement issu, et Memorial a pu alors apporter de l’eau à son moulin. Mais, dans le même temps, cette ONG dénonçait les crimes de l’armée russe et des officines policières lors des guerres de Tchétchénie menées par Eltsine, puis Poutine. Memorial accumulait aussi une masse énorme de matériaux – biographies, témoignages, récits, livres de mémoires… – sur les peuples déportés par Staline, sur les victimes de tout bord de la terreur stalinienne, y compris les trotskystes, puis sur la répression sous Khrouchtchev, Gorbatchev, Eltsine et Poutine. Et, dans ce dernier cas, elle apportait parfois une aide matérielle et juridique aux détenus pour raison politique ou idéologique.

Ce faisant, Memorial a, depuis plus de trente ans, mis en évidence une certaine continuité dans la répression menée par le pouvoir russe et par des individus qui en ont été des exécutants du temps de l’URSS. On y trouve au premier rang le président Poutine, suivi des membres des « organisations de force » (armée, polices diverses, garde nationale, etc.) qui forment l’épine dorsale de l’État et, de ce fait, des appareils contrôlant les grands secteurs de l’économie, à statut public, privé ou semi-public.

En fait, le Kremlin s’employait depuis longtemps à tordre le cou à Memorial : les amendes et les procès pleuvaient, une de ses représentantes avait été assassinée. Et depuis 2012, une loi oblige toute association recevant de l’argent étranger à se déclarer « agent de l’étranger ». Beaucoup d’organisations indépendantes du régime ont déjà fait les frais de cette épée de Damoclès suspendue sur elles. Pour faire bonne mesure, la Cour a aussi accusé Memorial de « créer une image mensongère de l’URSS en en faisant un État terroriste », de « salir la mémoire » de la « Grande guerre patriotique », n’osant pas citer Staline, même si le régime en fait le maître d’œuvre de la victoire sur l’Allemagne en 1945. Au passage, un des principaux animateurs de Memorial et spécialiste de l’histoire des camps staliniens a été condamné à 13 ans de colonie à régime sévère.

Ce jugement a été rendu le 28 décembre, dans la foulée de la Journée nationale des membres des services de sécurité, appelée Journée du tchékiste, un nom que revendiquent les membres du FSB, successeur du KGB. Nul doute que tous les galonnés, nostalgiques ou pas de Staline, en seront ravis. Il n’est pas sûr, toutefois, que la dissolution de cette ONG, et d’une façon plus générale la répression qui s’intensifie contre toute voix discordante, suffise à faire taire un mécontentement dont le régime sait qu’il existe bel et bien dans la population.

Partager