C’est la pire catastrophe minière en Russie depuis onze ans. L’explosion s’est produite dans une mine propriété du groupe SDS, constitué lors de l’effondrement de l’URSS en s’emparant d’actifs miniers quasi abandonnés. Devenu l’un des 200 plus grands groupes privés du pays, SDS possède, outre des mines, des sociétés de BTP, de matériel ferroviaire, de transport, de chimie des engrais, de production d’alcool, un réseau de magasins, des pharmacies, des centres de loisirs, une station radio, un aéroport… La fortune de celui qui était jusqu’à récemment son principal actionnaire, un député du parti du pouvoir, atteint un demi-milliard de dollars. Et si SDS a dû vendre quelques filiales, l’État vient de se porter garant pour lui auprès des banques qui financent son projet de port géant dans l’Extrême-Orient russe, afin de mieux exporter ce qui lui rapporte le plus en ce moment, le charbon.

Dans le contexte de flambée des prix du charbon sur les marchés mondiaux, organisée par les grands groupes capitalistes de l’énergie, la direction de SDS a mis le maximum de pression sur les mineurs. Elle menaçait d’amputer leurs salaires s’ils n’arrachaient pas toujours plus de richesse du sous-sol.

Les mineurs de Listviajnaïa avaient sonné l’alarme. Voici ce qu’a dit l’un d’eux après la catastrophe : « Depuis septembre, on a plusieurs fois dépassé les normes de méthane dans les galeries. À tel point que, pour nous faire aller au travail, la direction nous avait équipés d’analyseurs de gaz [des capteurs prévenant des risques d’explosion] à scotcher sur soi. » Dix jours avant le drame, il y a eu un incendie. Il en aurait fallu plus pour perturber la direction.

Les autorités de Kemerovo ont décrété trois jours de deuil, Poutine a présenté ses condoléances aux proches des victimes et les officiels se sont répandus en discours. Cela ne fera pas revenir les disparus. Et personne ne peut croire que le pouvoir agira pour que cessent de tels massacres.

Après la catastrophe de Vorkouta (35 morts en 2016), une commission avait été chargée d’évaluer la sécurité dans 58 mines de charbon. Elle en avait classé une sur trois comme potentiellement dangereuse, mais pas celle de Listviajnaïa. Rostekhnadzor (l’organisme étatique chargé des risques industriels) y a relevé 914 infractions aux règles de sécurité en 2021. Et la direction s’en tire à très bon compte : elle n’a dû interrompre la production que neuf fois et le montant de ses amendes est à peine de quatre millions de roubles, même pas 50 000 euros.

Le prix du charbon expédié depuis les ports de la Baltique a bondi de 47 à 237 dollars la tonne, et de 99 à 236 dollars pour les ports d’Extrême-Orient. Sur cette base, SDS aurait donc payé en amendes l’équivalent de 500 à 1 500 tonnes de charbon, sur 5,2 millions de tonnes extraites à Listviajnaïa en un an. Le prix du charbon a d’ailleurs si fortement flambé que SDS va, malgré l’explosion de Listviajnaïa, augmenter ses profits par rapport à l’année précédente.

Les propriétaires des mines n’ont absolument rien à craindre. Après l’explosion de 2004 à Listviajnaïa, la justice a condamné à des peines avec sursis neuf membres de l’encadrement technique, et personne d’autre. Après celle de Raspadskaïa, le tribunal a ouvert une enquête criminelle. Il l’a poussée, dans la hiérarchie des responsabilités, jusqu’au directeur technique de la mine, mais pas plus loin. Et au final, il a fait droit à la demande des accusés qui, invoquant les lenteurs de la procédure, ont obtenu l’extinction des poursuites !

Cette fois-ci, on a arrêté trois cadres promus au statut de lampistes. Seront-ils jugés, voire condamnés ? En tout cas, la justice russe fera tout pour ne pas léser les propriétaires de cette mine tombeau de 51 mineurs. Un système mondial dominé par la course au profit ne peut fonctionner qu’avec la peau et la santé des travailleurs de tous les coins de la planète.