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Leur société
Affaire des sous-marins : “contrat du siècle” et préparatifs guerriers
L’annonce faite le 15 septembre par le Premier ministre australien, Scott Morrison, de la rupture du contrat de 56 milliards d’euros conclu en 2016 avec le groupe français Naval Group pour la fourniture de sous-marins a déclenché une tempête diplomatique avec les États-Unis.
Le gouvernement français, par l’entremise de Jean-Yves Le Drian, ministre des Affaires étrangères, a rappelé ses ambassadeurs en Australie et aux États-Unis et a dénoncé un « coup dans le dos » donné par un pays allié. Par trois pays, aurait-il pu ajouter, puisque cette annonce est survenue en même temps que celle de la signature d’un « partenariat de sécurité et de défense », plus global, entre les États-Unis, le Royaume-Uni et l’Australie. L’État français s’estime humilié par ces puissances avec lesquelles il participait ces dernières années à toutes les grandes manœuvres navales destinées à montrer à la Chine qu’un front commun se dressait face à elle. Non seulement ces amis de plus de trente ans n’ont pas prévenu les dirigeants français, mais jusqu’au dernier moment les négociateurs français et australiens discutaient encore certains détails techniques de ce « contrat du siècle » !
La France a beau être à la troisième place des marchands d’armes dans le monde, elle n’est pas une puissance pouvant avoir une politique de défense au-delà de son ancienne zone d’influence coloniale. Même en Afrique, où la présence de l’impérialisme français est la plus marquée, notamment au Mali, elle est contestée par ses concurrents et reste tributaire de l’engagement des moyens techniques d’autres armées, à commencer par ceux des États-Unis.
Les hommes politiques français qui crient à la trahison font semblant d’être surpris par les relations privilégiées qu’entretiennent l’Australie et les États-Unis sur les plans politique et militaire. Mais depuis quelques années, l’Australie apparaît de plus en plus comme un poste avancé de l’impérialisme contre les intérêts chinois en Asie et dans le Pacifique. Elle se porte candidate à un rôle plus actif dans la politique d’isolement de la Chine, dont Obama puis Trump se sont faits les promoteurs les plus actifs. Ses gouvernements ont lancé de grands programmes d’armement pour équiper leurs forces navales, terrestres et aériennes, jusque-là insuffisantes pour prétendre jouer un tel rôle. Pour les dix prochaines années, 354 milliards d’euros de dépenses militaires ont été programmés.
C’est dans le cadre de ce programme qu’avait été signé le contrat dit « du siècle », portant sur la livraison d’une douzaine de sous-marins avec Naval Group. Mais même ce contrat désormais déchiré portait l’empreinte des États-Unis, puisque seuls 20 % environ des dépenses induites devaient revenir à Naval Group, l’essentiel étant capté par le groupe américain Lockheed Martin, fournisseur des systèmes d’armement de ces sous-marins et numéro un des ventes d’armes dans le monde.
Cette affaire en dit long aussi sur la façon dont l’impérialisme américain tisse sa toile pour isoler la Chine et se mettre en situation de mener, le cas échéant, une véritable guerre. Comme le dit le Premier ministre australien : « La décision que nous avons prise de ne pas continuer avec les sous-marins de classe Attack et de prendre un autre chemin n’est pas un changement d’avis, c’est un changement de besoins. »
Précautions diplomatiques mises à part, cela signifie qu’en achetant des sous-marins dotés d’une propulsion nucléaire, avec un rayon d’action plus étendu et une capacité à rendre leurs déplacements quasi indétectables, l’Australie se dote d’une marine qu’elle espère à même de combattre la Chine si son protecteur américain lui en donne l’ordre. C’est un moyen aussi de libérer pour d’autres missions les forces navales propres des États-Unis.
Au fond, les dirigeants français protestent pour n’avoir pas été jugés dignes d’être associés à la préparation d’une guerre contre la Chine : les travailleurs de France, eux, n’ont aucune raison de se joindre aux plaintes de leurs dirigeants