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- Lutte ouvrière n°2771
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Juin 1962 en URSS : la révolte des ouvriers de Novotcherkassk
Le 1er juin 1962, une très forte hausse des prix sur des produits de base (lait, viande, œufs) était annoncée pour toute l’Union soviétique. C’était la réponse du Kremlin aux problèmes économiques dans lesquels le pays s’enfonçait, du fait de la domination de la société et de son pillage par une bureaucratie pléthorique.
Le mécontentement couvait partout depuis des mois. Le KGB, la police politique, signalait avoir saisi depuis le début de l’année plus de tracts hostiles à Khrouchtchev – le chef du Kremlin, successeur de Staline – que durant toute l’année 1961. L’approche de ces hausses de prix vit surgir des tracts les dénonçant à Moscou, Tchéliabinsk, Khabarovsk. Des appels à la grève parurent sur les murs à Leningrad, Tbilissi, Tambov, Magnitogorsk, Donetsk… Mais à Novotcherkassk, un centre industriel du sud-est de la Russie, la protestation prit un tour explosif, amenant une répression féroce.
Dans sa principale usine, NEVZ, où 14 000 travailleurs construisaient des locomotives, la direction avait décidé d’imposer, ce même jour, un nouveau tarif réduisant les paies d’un tiers. Les ouvriers de la fonderie se mirent en grève, le reste de l’usine suivit. Flanqué du chef du parti de NEVZ, le directeur attisa encore leur colère quand, les sermonnant, il déclara que, s’ils ne pouvaient plus manger de viande, ils pouvaient se faire « des pâtés d’abats » !
Des grévistes partirent faire la tournée des autres usines, pour qu’elles les rejoignent, d’autres bloquèrent la voie ferrée. Dans l’après-midi, ils allèrent chasser de leurs locaux les responsables de l’administration. La foule ouvrière balaya les miliciens envoyés « libérer » NEVZ et les grévistes firent un feu de joie des portraits de Khrouchtchev. Le soir, se trouvant face à des automitrailleuses, ils bloquèrent les portes, sans que les soldats, qui éprouvaient de la sympathie pour eux, s’y opposent.
Khrouchtchev, qui craignait que les mêmes causes provoquent les mêmes effets ailleurs, dépêcha sur place deux de ses adjoints, dont Mikoïan, tandis que des tanks investissaient la ville et que le KGB arrêtait certains meneurs ouvriers.
Le lendemain, il y avait 10 000 manifestants en ville, derrière des drapeaux rouges, des portraits de Lénine, des pancartes réclamant de la viande (en fait du saucisson) et plus de justice sociale. Pour éviter de nouvelles fraternisations avec la troupe, l’encadrement ordonna de faire feu, faisant une cinquantaine de morts et des centaines de blessés, dont des enfants. L’effet immédiat fut de jeter dans la grève de nouvelles usines, des dizaines de milliers d’ouvriers envahissant le centre-ville.
Durant la nuit, le KGB arrêta des centaines de travailleurs qu’il avait repérés. Cela décapita le mouvement. L’armée décréta le couvre-feu, tira à vue sur les contrevenants, encercla la ville et la coupa de l’extérieur.
En même temps que le pouvoir améliorait le ravitaillement de la ville, il organisa, en août, un grand procès public de 14 accusés, tous ouvriers. Chaque jour, on y mena de nombreux ouvriers, pour qu’ils voient ce qu’il en coûtait de se révolter : sept accusés furent condamnés à mort, sept autres à des peines de dix à quinze ans de prison ou de camp. En septembre, un nouveau procès d’ouvriers eut lieu à huis-clos, mais avec des peines de prison ou de camp aussi lourdes.
L’ajusteur gréviste Piotr Siouda fut arrêté le 2 juin et incarcéré douze ans. Il était le fils d’un « vieux-bolchevik » que Staline avait fait périr en prison. À sa sortie, il voulut faire connaître ce qu’il appelait « un des crimes les plus sanglants du parti et de l’État contre Octobre et le bolchevisme-léninisme ». Durant la perestroïka, le chef de la bureaucratie, Gorbatchev, malgré ses promesses, laissa sans réponse les demandes de faire la lumière sur ces événements sanglants. Siouda annonça avoir découvert où l’on avait enterré clandestinement certaines victimes du massacre. Le 5 mai 1990, en pleine rue, des « inconnus » le frappèrent à mort, lui volant les documents qu’il avait réunis sur juin 1962.
D’évidence, le KGB et les héritiers de Staline ainsi que de Khrouchtchev, le bourreau des ouvriers hongrois de 1956 et des ouvriers de Novotcherkassk de 1962, ne tenaient pas à ce que l’on sache que, dans l’URSS des bureaucrates, la classe ouvrière avait relevé la tête.