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Dans le monde
Russie : épidémie mortelle, régime meurtrier
S’exprimant lundi 14 juin devant les députés, le président russe, Poutine, a déclaré que « le danger du coronavirus est toujours présent » et que « la situation s’aggrave dans plusieurs régions ». Il ne pouvait dire moins car l’épidémie flambe comme jamais dans le pays avec une présence du variant Delta (ex-indien) dans 90 % des cas.
Ainsi, les hôpitaux de la capitale (12 millions d’habitants), de sa région et de Saint-Pétersbourg (6 millions d’habitants) sont débordés, au point de devoir parfois aliter les malades à même le sol.
Mais Poutine ne va pas battre sa coulpe pour autant. À l’écouter, le pays a « réussi à atténuer le premier coup de l’épidémie, le plus dur », l’an dernier. Avec 130 000 morts du Covid annoncés par le gouvernement, il est pourtant déjà le plus frappé d’Europe. Ce chiffre reflète encore bien mal la réalité : Rosstat, l’agence officielle des statistiques, recense 270 000 morts. Et vu les pressions exercées il y a un an pour que médecins et hôpitaux classent ces morts sous d’autres rubriques, il faudrait sans doute plutôt parler d’un demi-million.
Quand Poutine prétend que le pouvoir a atténué les effets de l’épidémie, il ne ment pourtant qu’à moitié. En avril, lors de son adresse annuelle à l’Assemblée fédérale, il a pu affirmer que « les profits du secteur privé de l’économie promettent de battre des records cette année ». Et le régime s’y est employé de bien des façons : en limitant l’information sur le Covid à conseiller le port du masque ; en incitant la population à continuer à aller au travail ; en ne recourant pas à des mesures qui auraient été vues comme contraignantes…
Quant au vaccin Spoutnik V, si le régime en fait un instrument de sa diplomatie vis-à-vis des pays pauvres, rien n’a vraiment été tenté pour organiser la vaccination de masse depuis qu’il est disponible. Il est vrai que la population s’en méfie, comme elle se défie spontanément de tout ce qui semble émaner « d’en haut », ce qui en dit plus long que n’importe quelle élection « administrée » sur la confiance qu’elle fait à ses dirigeants.
De leur côté, les employeurs, gros ou petits, publics ou privés, ne veulent entendre parler d’aucune mesure sanitaire qu’ils jugent, à tort ou à raison, pénalisante pour leurs affaires. Poutine, le Kremlin et l’administration des régions ont donc tout fait pour ne les gêner en rien.
Et les résultats sont là. Pour les trois premiers mois de 2021, les profits du secteur privé (hors banques) ont plus que triplé sur un an. Ils ont même augmenté de 32 % par rapport à la même période de 2019, donc avant l’épidémie. Autre résultat : en un an et demi, le Covid a fait presque cinq fois plus de morts qu’en plusieurs années les deux guerres de Tchétchénie de sinistre mémoire !
Certaines causes de cette situation dramatique remontent aux années 1990 quand, sur les ruines de l’Union soviétique, avait éclaté la première guerre de Tchétchénie. L’économie, pillée par la bureaucratie et les mafias, s’était alors effondrée et, depuis, la bureaucratie affairiste qui dirige le pays n’a, pour s’enrichir, cessé de rogner sur les dépenses dans les services publics, dont la santé.
Partout, on a fermé des lits et des hôpitaux, licencié du personnel médical de façon quasi continue. Selon les chiffres officiels, le nombre des médecins épidémiologistes et celui des lits dans les services des maladies infectieuses ont diminué de 60 % en moins de trente ans ! Quant à la mortalité due aux maladies infectieuses, elle a été multipliée par 2,34 entre 1990 et 2018, donc avant même l’actuelle crise sanitaire.
Devant la situation, et surtout les caméras du monde entier, car Saint-Pétersbourg accueille des matchs de l’Euro, le régime s’est senti obligé de réagir. Mais il le fait mollement, pour ne pas pénaliser le monde des affaires. À Saint-Pétersbourg, les autorités promettent de vacciner 65 % des fonctionnaires d’ici le mois d’août. À Moscou, le maire, un proche de Poutine, a décrété la fermeture de fan zones, de restaurants dans les zones commerciales et une obligation vaccinale pour les employés du secteur des services. En cas de refus, le salarié peut se mettre en congé sans solde, ou être licencié. Comme l’ont été des travailleurs dont les entreprises ont fermé ou qui refusaient de travailler sans aucune mesure de protection sanitaire.
Alors que le patronat russe public et privé refuse toute contrainte, la direction d’AvtoVaz, une grande usine de Moscou, propriété de Renault, cherche à se donner le beau rôle. Elle promet 1 500 roubles (20 euros) à chaque salarié qui acceptera de se faire vacciner. C’est ce que touche par mois un ouvrier au chômage… et c’est bien insuffisant, même pour survivre dans une grande ville.
Comme des législatives auront lieu en septembre sur fond de défiance généralisée de la population, Poutine y va de ses promesses. Il vient d’annoncer des centaines de milliards de roubles pour améliorer les transports publics, les routes, rénover les écoles… et renforcer le système de « convalescence médicale ». Pour celles et ceux que l’incurie et la rapacité de la bureaucratie et des employeurs n’auront pas fait mourir d’ici là ?