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- Lutte ouvrière n°2756
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Il y a 150 ans, la commune
La grande peur des bourgeois
La Commune de Paris suscita une peur panique chez les bourgeois. Devant les travailleurs armés qui dirigeaient la capitale et organisaient la vie en faveur de ceux qui ne possèdent rien d’autre que leurs bras, ils craignaient de tout perdre. Les écrits de cette époque, principalement la presse et les échanges de lettres entre écrivains, déversèrent des tombereaux de haine et d’injures envers cette classe sociale méprisée qui avait osé relever la tête et montré sa capacité à diriger Paris.
La réédition du livre de Paul Lidsky, Les écrivains contre la Commune, est là pour rappeler que bien des écrivains, présentés encore de nos jours comme républicains, voire socialistes, ont participé avec violence au concert des détracteurs de la Commune de Paris.
Que la presse, majoritairement aux mains de la classe dominante, reflète les angoisses des possédants, cela n’a rien de surprenant. Ce qui pourrait étonner, en revanche, est de voir à quel point des Gustave Flaubert, George Sand, Leconte de Lisle et autres qui, lors de la révolution de 1848, avaient applaudi à la chute de la monarchie et à l’instauration de la IIe République, ont pu déborder de haine une vingtaine d’années plus tard contre les révolutionnaires parisiens. Issus de la moyenne bourgeoisie ou de la petite noblesse, leur réflexe de classe a pris le dessus et ils se sont faits alors les porte-parole des craintes et des haines de leur milieu social.
Seule une minorité d’écrivains, dont Jules Vallès, Arthur Rimbaud, Paul Verlaine et Villiers de l’Isle-Adam, ont soutenu les communards. Victor Hugo, neutre durant les journées révolutionnaires, condamna ensuite violemment la répression.
Bien que ces écrivains se soient s’affichés comme républicains, ils se sont facilement accomodés du second Empire. Et la république qu’ils appelaient de leurs vœux était celle où la bourgeoisie détient fermement le pouvoir, seule classe sociale capable, selon eux, de diriger un État. Dans une telle république, chacun doit rester à sa place : les gueux sont là pour produire les richesses, pas pour gérer la société, les ouvriers doivent être respectueux de cet ordre social et remercier les possédants qui leur donnent du travail.
De rares écrivains analysent le mouvement et comprennent bien ce qu’il se passe, tel Edmond de Goncourt, pour qui « le gouvernement quitte les mains de ceux qui possèdent pour aller aux mains de ceux qui ne possèdent pas », et Taine qui juge que cette insurrection est socialiste. Mais c’est avant tout en petit propriétaire que Gustave Flaubert et Edmond de Goncourt réagissent au moratoire des loyers décrété par la Commune, « une énorme ineptie et une injustice ». De quel droit, se révolte le premier, le gouvernement intervient-il dans des contrats entre particuliers ? De quel droit aussi cet État interdit-il le travail de nuit pour les boulangers, se demande Émile Zola ? Flaubert, dans sa correspondance avec George Sand, rejoint le concert de ceux qui s’insurgent contre l’instruction obligatoire et gratuite, qui ne ferait, dit-il, « qu’augmenter le nombre des imbéciles ».
Près de trente ans après l’écrasement de la Commune, Émile Zola résumera ainsi la doctrine qu’il partageait avec tous ces républicains bien-pensants : « La liberté, oui ; la fraternité, oui ; mais l’égalité, jamais ! » Dans la réalité, les trois notions furent déniées aux travailleurs.
La plupart des écrivains avaient quitté Paris dès l’approche de l’armée prussienne, pour se réfugier à Versailles ou en province et ne connurent les événements qu’à travers les ragots. Leur conviction était cependant faite d’avance : les pauvres qui se révoltent ne pouvaient être que de la « racaille ».
Les insultes les plus violentes furent utilisées pour vilipender les Communards ; ils étaient des sauvages, des bêtes, des bandits, et bien sûr des ivrognes pris de folie meurtrière. Maxime du Camp voit en eux des « brutes obtuses ne comprenant rien, sinon qu’ils ont bonne paye, beaucoup de vin et trop d’eau-de-vie. L’orgie a été la principale préoccupation de la plupart de ces hommes. » Pour Ernest Feydeau, un ami de Flaubert, « l’effronterie de ces coquins n’avait d’égales que leur bêtise et leur scélératesse. Cela puait le vin, la crasse […] et je ne sais quelle bestiale vanité. » Théophile Gautier le rejoint en les comparant à « des bêtes puantes et venimeuses ». Les étrangers sont aussi pris pour cible : ils participent à un complot de l’Internationale ou s’entendent avec les Prussiens pour attaquer la république, etc. Quant aux femmes, des « femelles » selon Alexandre Dumas fils, elles ne peuvent être que des folles, des malades, des pétroleuses qui prennent plaisir à incendier Paris.
Une fois la Commune écrasée, la haine ne faiblit pas, au contraire. La presse relata comment les bourgeois se réjouirent de voir les cohortes de prisonniers conduits à coups de crosse et de baïonnette au camp de Satory, près de Versailles. Les écrivains aussi applaudirent à la répression. Anatole France : « Enfin, le gouvernement du crime et de la démence pourrit à l’heure qu’il est dans les champs d’exécution. » Leconte de Lisle : « J’espère que la répression sera telle que rien ne bougera plus. » Flaubert : « Je trouve qu’on aurait dû condamner aux galères toute la Commune et forcer ces sanglants imbéciles à nettoyer toutes les ruines de Paris, la chaîne au cou, en simples forçats. […] On est tendre avec ces chiens enragés. » Zola, qui s’inquiétait cinq jours avant la Semaine sanglante que les insurgés détruisent la maison que Thiers venait de faire réparer : « Le bain de sang que le peuple de Paris vient de prendre était peut-être d’une horrible nécessité pour calmer certaines de ses fièvres. » Barbey d’Aurevilly s’en prend plus précisément au peintre Gustave Courbet, qui avait fait abattre la colonne Vendôme, souhaitant « le faire voir, pour de l’argent, à toute la France, scellé dans une cage de fer sous le socle de la colonne. »
Ces quelques exemples montrent clairement dans quel camp se placent l’ignorance, la bestialité, la folie meurtrière : celui de la bourgeoisie prête à tous les massacres pour conserver son ordre social.
La calomnie éteinte, vint le silence, et pendant un siècle on ne parla plus guère de la Commune. Le premier État ouvrier, révolutionnaire par les mesures qu’il avait prises, fut effacé de la mémoire officielle ainsi que des manuels scolaires et, encore maintenant, son existence est souvent réduite à un paragraphe. En revanche, les Goncourt, les George Sand, Leconte de Lisle, Flaubert, Zola et autres, qui ont vomi leur hargne sur la Commune, menti et appelé au meurtre, sont toujours considérés comme respectables.