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Dans le monde
Inde : une tragédie sanitaire révélatrice
Avec 400 000 nouvelles contaminations et 4 000 décès quotidiens officiellement recensés, l’épidémie déferle désormais de façon incontrôlée dans les grandes villes mais aussi dans les campagnes indiennes.
Les images dramatiques des personnes mourant sur les trottoirs, et des bûchers funéraires installés dans des parcs publics symbolisent cette tragédie.
Tous les observateurs s’accordent pour estimer que cette hécatombe est, volontairement ou par faute de moyens, largement sous-évaluée par le gouvernement central comme par les différents exécutifs des États qui composent l’Union indienne. Le nombre réel de morts pourrait être de 50 000 par jour !
L’un des problèmes les plus urgents est la pénurie d’oxygène pour compenser les situations de détresse respiratoire. Sa production est largement insuffisante, d’autant plus que le gouvernement a permis à plusieurs secteurs industriels, dont ceux de l’acier et du pétrole, de continuer à recevoir les énormes volumes d’oxygène qu’ils consomment. Pour le transport de ce gaz, l’Inde ne dispose que de 1 172 camions équipés dans un pays grand comme six fois la France et dont le réseau routier ne permet pas un acheminement rapide. Les quelques trains, baptisés Oxygen Express, mis en service et les avions de l’armée qui ont transporté des camions vides pour accélérer les rotations ne suffisent pas à pallier cette situation. Nombre d’hôpitaux ne sont en outre même pas équipés pour stocker l’oxygène dont ils ont besoin. L’aide internationale, très limitée, qui commence à être acheminée, sera bien incapable de freiner la dynamique actuelle. Mais elle permet aux dirigeants des grandes puissances, dont le bilan dans ce domaine est pourtant pitoyable, et dont les entreprises pillent l’Inde, de se poser en sauveurs et en donneurs de leçons.
Une économie à la fois aussi inégalement développée que celle de l’Inde, et tout entière organisée en fonction des seuls intérêts des plus riches, est bien incapable de faire face à la crise et de répondre aux besoins de sa population. Cette tragédie met notamment en lumière le sous-investissement criant dans le système de santé depuis des décennies. La bourgeoisie accède aux équipements modernes, souvent dans des établissements privés, et le gouvernement se targue d’avoir transformé le pays en « pharmacie du monde » : l’industrie pharmaceutique emploie 2,7 millions de salariés et fournit 60 % de la production mondiale de vaccins, en sous-traitance pour les grands laboratoires pharmaceutiques.
Mais accéder aux soins reste un véritable combat pour la grande majorité des exploités. L’Inde ne compte que cinq lits d’hospitalisation (contre 43 à la Chine) et huit médecins pour 10 000 habitants, ce qui la place à la 137e place mondiale. 90 % des pauvres n’ont aucune couverture santé et doivent sortir l’argent pour le moindre médicament. Ces dépenses seraient directement responsables de la pauvreté de millions de personnes.
Aujourd’hui, ce sont des pans entiers de la petite bourgeoisie qui sont menacés dans leur survie même.
Face à l’incurie et au mépris du gouvernement, la colère grandit contre le Premier ministre, Modi. Pendant des mois, ignorant les mises en garde des médecins et masquant les vrais chiffres, celui-ci a préféré engager ses troupes dans la campagne électorale et flatter ses partisans les plus religieux, en autorisant un pèlerinage réunissant des millions de croyants venus de tout le pays.
La deuxième vague de Covid est survenue peu après que Modi a affirmé sa victoire sur la maladie, déclarant que le succès de l’Inde ne pouvait être comparé à aucun autre pays et qu’il avait « sauvé l’humanité d’une grande catastrophe en maîtrisant efficacement le coronavirus ». Niant toutes les évidences, Modi prétend toujours avoir la situation sous contrôle et son ministre de la Santé réaffirmait le 29 avril : « Le taux de mortalité du Covid-19 en Inde est le plus bas du monde. »
En réalité, le gouvernement n’a rien fait, notamment pour pallier la pénurie d’oxygène. Dans l’Uttar Pradesh, État dirigé par le parti nationaliste hindouiste de Modi, les autorités avaient même menacé ceux qui colporteraient les rumeurs de pénurie d’oxygène. Modi avait quant à lui annoncé la production de petits générateurs dédiés aux hôpitaux, mais une trentaine seulement ont été construits. Et il continue d’accuser les gouvernements des États et surtout la population, dont des millions de petits paysans en lutte contre sa politique agraire depuis des mois, d’être responsables de la reprise de l’épidémie, de bloquer l’acheminement de l’oxygène et d’avoir été négligents. Sa seule réponse est de décréter un confinement qui précipite des dizaines de millions de travailleurs dans l’extrême misère et les réduit à la famine.
Face au mépris de leurs dirigeants, serviteurs des intérêts de la bourgeoisie indienne et des grandes puissances, la classe ouvrière et la paysannerie pauvre constituent une force considérable. La seule capable de sortir ce pays du sous-développement et de la barbarie auxquels le capitalisme les condamne.