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Leur société
Luxembourg : un rouage du système financier
L’enquête OpenLux vient de révéler l’ampleur de l’évasion fiscale au Luxembourg. Elle montre aussi combien ce système, parfaitement légal, fait partie du fonctionnement du capitalisme.
En 2014, le scandale des LuxLeaks mettait en évidence un système d’accords secrets que des multinationales passaient avec l’État luxembourgeois afin d’obtenir des taux d’imposition quasiment nuls. Suite à cela, le gouvernement du Grand-Duché a choisi de repeindre sa façade et de donner l’image du bon élève. Il a annoncé qu’il abandonnait ces accords et se conformait aux directives européennes contre le blanchiment, en créant un registre public où figurent les bénéficiaires des entreprises domiciliées dans le pays. C’est ce registre qu’un groupe de seize médias a épluché. D’après leurs conclusions, les bourgeoisies mondiales n’ont pas été trop dérangées par les nouvelles dispositions.
Qu’on en juge : ce pays de 600 000 habitants abrite 140 000 entreprises, dont la moitié sont des sociétés fantômes, sans activité ni salarié. Par exemple, au 6 de la rue Eugène-Ruppert, dans un immeuble de six étages de la capitale, sont installées 1804 entreprises. Leur fonction consiste à détenir des parts financières dans des sociétés réelles, comme Sanofi ou Michelin : on les appelle des holdings. Elles concentrent plus de 6500 milliards d’euros, près de cent fois le PIB du Grand-Duché.
Près de 90 % de ces sociétés sont aux mains de propriétaires étrangers, les plus représentés étant les Français, dont 37 des 50 familles françaises les plus fortunées. Ainsi, le milliardaire Bernard Arnault détient à titre personnel 31 holdings luxembourgeoises, sans parler des dizaines de filiales de son groupe LVMH.
C’est que le Grand-Duché propose toujours de nombreux outils d’optimisation fiscale, en pleine conformité avec les directives internationales. Par exemple, au lieu de se déclarer propriétaire d’une entreprise française et payer un taux d’imposition de 30 % sur les dividendes, un milliardaire peut créer une holding au Luxembourg, qui sera actionnaire à sa place, de façon que les dividendes ne soient pas taxés. Un autre montage, où l’entreprise française se rend artificiellement débitrice d’une filiale luxembourgeoise créée pour cela, permet de ne payer quasiment pas d’impôts sur les gains.
S’il est vrai que la bourgeoisie préfère le secret, ce n’est pas le seul aspect de la question. Qu’importe à Bernard Arnault qu’on puisse savoir où il pratique l’évasion fiscale, si c’est légal et si l’État français le laisse faire ! La facilité avec laquelle des journalistes ont réalisé l’enquête OpenLux montre par contraste que les gouvernements, qui ont plus de moyens, ne trouvent rien à redire contre ce fonctionnement, parce qu’ils sont fondamentalement au service de leurs milliardaires.