La grève de 1995 contre le plan Juppé16/12/20202020Journal/medias/journalnumero/images/2020/12/2733.jpg.445x577_q85_box-0%2C104%2C1383%2C1896_crop_detail.jpg

il y a 25 ans

La grève de 1995 contre le plan Juppé

Il y a 25 ans, la grève de novembre-décembre 1995 forçait le gouvernement Juppé à reculer et à abandonner les attaques qu’il avait programmées contre les travailleurs : la réforme des retraites concernant les fonctionnaires et les régimes spéciaux, ainsi que son projet de contrat de plan ferroviaire.

Ce qu’on a appelé le plan Juppé cédait devant une grève portée par les cheminots et les salariés de la RATP, qui avait entraîné de nombreux travailleurs du secteur public et aussi des salariés du privé lors de différentes journées d’action.

Deux ans plus tôt, en 1993, le gouvernement de cohabitation de Balladur avait réussi à imposer aux salariés du privé de passer de 37,5 à 40 annuités pour une retraite complète et un calcul des pensions basé sur les vingt-cinq meilleures années au lieu des dix meilleures. Juppé, nommé Premier ministre par Jacques Chirac, élu au printemps 1995, voulait « réussir ce qu’on n’a pas osé entreprendre depuis trente ans ». Cela voulait dire allonger, comme dans le privé, à 40 le nombre d’annuités nécessaires pour qu’un fonctionnaire ait une retraite à taux plein, la suppression des régimes de retraite plus favorables dont disposaient en particulier les salariés d’EDF, de la SNCF et de la RATP. II projetait aussi le gel des salaires.

Juppé programmait aussi d’autres reculs des droits des travailleurs, une politique qu’il qualifiait de « courageuse ». Un texte introduisait de nouveaux impôts pour financer la Sécurité sociale, une hausse du forfait hospitalier et la reprise en main par l’État de la gestion de la Sécurité sociale. Juppé tenait aussi à conclure au plus vite la discussion sur un contrat de plan entre l’État et la SNCF comportant de nombreuses suppressions de postes, des fermetures de lignes, un blocage des salaires.

C’était aller un peu trop vite en besogne. Au lieu de chercher à se concilier les directions syndicales, Juppé heurtait de front FO et la CGT et les poussait à se liguer contre son plan, provoquant une grève de trois semaines qui, au plus fort du mouvement le 12 décembre, allait mettre des centaines de milliers de travailleurs dans la rue. Les motivations des syndicats n’étaient pas tout à fait identiques. Force ouvrière, qui disposait de la majorité au sein des organismes de gestion de la Sécurité sociale, était particulièrement visée. La CGT, quant à elle, voulait montrer au gouvernement qu’il ne pouvait pas se passer des syndicats, qu’il devait se résoudre à discuter avec eux pour mener sa politique. Seule la direction de la CFDT choisit de soutenir une grande partie des réformes du plan Juppé, dont celle concernant les retraites. Ce ne fut pas sans la forte opposition de ses adhérents, qui l’obligea malgré tout à appeler à certaines journées d’action.

Les syndicats, FO et CGT avaient pu mesurer le mécontentement lors des journées d’action organisées depuis le début de l’année. La concurrence entre les deux syndicats jouait un rôle d’aiguillon, les incitant à ne pas lâcher prise. Un certain nombre de travailleurs s’en sentaient encouragés, ainsi que les militants syndicaux, jusqu’à décider de convaincre les cheminots, puis d’autres, de s’engager dans une grève reconductible.

La revendication centrale du retour aux 37,5 annuités pour tous concernait le secteur privé et pas seulement les fonctionnaires, les régimes spéciaux et en particulier la SNCF. Affirmer la nécessité du retour aux 37,5 annuités fixait un objectif commun à tous et pouvait être un levier pour entraîner les salariés du privé.

Dès le déclenchement de la grève à la SNCF, le 24 novembre, la CGT chercha à impulser des assemblées générales intersectorielles parmi les cheminots, puis elle favorisa la participation des autres travailleurs. La CGT utilisa la force représentée par les cheminots en grève reconductible pour entraîner de proche en proche dans la grève les agents de la RATP dans la région parisienne, les postiers, les salariés de l’EDF, de France télécom, des impôts et l’ensemble des fonctionnaires. Ses militants entraînèrent les cheminots grévistes vers les dépôts RATP, les centres de tri postal, pour qu’ils s’adressent directement à leurs salariés en les appelant à les rejoindre. La CGT appela aussi chaque semaine à des « temps forts » avec l’objectif de permettre à de nombreuses professions de se joindre au mouvement. Les routiers, les ouvriers de nombreuses usines y participèrent.

Le gouvernement, les députés et nombre de commentateurs tentèrent de monter l’opinion publique contre les grévistes. Ils dénonçaient du matin au soir sur les ondes le prétendu corporatisme d’une catégorie, les conducteurs de train, mieux payés et privilégiés, la « prise en otage » des usagers, des salariés, dont beaucoup étaient dans l’incapacité de se rendre à leur travail. Ils accusèrent les grévistes d’être responsables de licenciements. Ils tentèrent de diviser le mouvement en cédant en partie sur le contrat de plan SNCF. La CGT et FO n’en continuèrent pas moins à appeler à la poursuite de la grève. Malgré la gêne réelle occasionnée par la paralysie presque totale des transports, en particulier en région parisienne, la population travailleuse restait majoritairement solidaire, supportant les heures d’attente, les heures de marche et la pression à l’approche des fêtes de fin d’année. L’ensemble des travailleurs sentaient qu’une victoire des grévistes mettrait un frein aux attaques qu’ils subissaient.

Ce mouvement resta dans le cadre fixé par les directions syndicales, qui ne craignaient nullement d’être débordées. La CGT put encadrer la grève sans en perdre le contrôle et même décider de la fin du mouvement sans être contestée.

Le 15 décembre, Juppé dut annoncer que son plan était abandonné et le mouvement prit fin. Alors qu’il avait annoncé que face à la grève il restait « droit dans ses bottes », son gouvernement était durablement affaibli.

Début 1997, pour retrouver du crédit, Chirac tenta une manœuvre politique en décidant la dissolution de l’Assemblée nationale. La victoire de la gauche aux élections législatives l’obligea à cohabiter avec le Premier ministre socialiste Lionel Jospin. Cinq ans de ce gouvernement, auquel la CGT appelait les travailleurs à faire confiance, allaient s’avérer plus efficaces pour endormir leur combativité que les attaques frontales de Juppé, et créèrent les conditions pour le retour de la droite au gouvernement après l’élection présidentielle de 2002.

Le gouvernement Raffarin-Fillon tenta alors à nouveau en 2003 de faire reculer l’âge de la retraite pour les fonctionnaires et les régimes spéciaux. Cependant, dès les premières réactions, il divisa le mouvement en excluant momentanément les régimes spéciaux. Ses successeurs allaient se charger de les démolir progressivement.

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