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Turquie : les fanfaronnades d’Erdogan
« Monsieur Macron, vous n’avez pas fini d’avoir des ennuis avec moi », a lançé le président turc, Erdogan, le 12 septembre, pour répondre aux menaces brandies par le gouvernement français deux jours plus tôt.
Erdogan a aussi conseillé à la France de balayer devant sa propre porte, faisant allusion à la guerre menée en Algérie et à sa responsabilité dans le génocide rwandais, avant de rappeler le navire turc qu’il avait lancé en Méditerranée à la recherche de gaz naturel, dans une zone revendiquée par la Grèce.
Cet épisode fait suite à d’autres, destinés en réalité à détourner l’attention de la population turque de la crise qui s’approfondit. L’économie, déjà très touchée, s’écroule depuis quelques mois. Le cours de la livre turque a baissé en quelques semaines de 6,70 à 7,50 pour un dollar, ce qui devrait encore s’aggraver. Le corollaire en est la baisse du niveau de vie de la population et la forte augmentation du chômage, qui dépasse déjà les 20 %. Le mécontentement s’accroît également, comme l’avaient déjà montré les résultats des élections municipales de mars 2019. Le parti d’Erdogan, l’AKP, avait alors perdu la plupart des grandes villes, notamment Istanbul et Ankara.
Erdogan et son gouvernement, pour pouvoir se maintenir au pouvoir, ont décidé d’accentuer la répression. Elle se double d’une démagogie délirante, tant sur le plan intérieur qu’en faisant grimper les tensions en Méditerranée orientale. Les postures belliqueuses envers la Grèce et la France participent de cette mise en scène guerrière.
La répression est tout sauf feinte. En un an, sur des accusations d’atteintes à la personne d’Erdogan et de l’État, 36 000 plaintes ont été déposées, dont 308 contre des enfants. Récemment, un ancien militant de gauche âgé de 92 ans a été jeté en prison sur de vagues accusations datant de 2007. Les opposants, militants de gauche et nationalistes kurdes sont arrêtés par dizaines chaque semaine, en nombre croissant parallèlement à l’usure du pouvoir.
En matière de démagogie, l’imagination est au pouvoir. Lors de l’ouverture au culte très médiatisée de la célèbre basilique-musée Sainte-Sophie, Erdogan s’est vanté d’avoir mobilisé plus de 350 000 personnes. Cela répondait, prétendait-il, à une « urgence vitale ». Pourtant, un an auparavant, lui-même déclarait encore que pareille chose serait folie, car des milliers de places restaient vacantes dans les mosquées situées juste en face.
Pour rester dans le même registre, Erdogan a annoncé le 19 août qu’un miracle allait avoir lieu en Turquie, suscitant de toutes pièces un climat d’attente fébrile dans l’ensemble de la grande presse, contrôlée à vrai dire à plus de 90 % par le gouvernement. Trois jours plus tard, le 21 août à midi, lors de la prière, le président, relayé par les médias, déclarait que la Turquie avait découvert un gisement de gaz naturel capable d’alimenter le pays dès 2023.
À l’appui du miracle, on a parlé de 800 milliards de mètres cubes de réserves, puis seulement de 320 milliards. Ce gisement aurait suffi à la consommation du pays durant vingt ans, diminué considérablement les grosses factures du gaz, voire permis de le rendre gratuit. Ces fables ont vite été éventées, des spécialistes décrivant une exploitation qui ne pourrait être réalisée au mieux que dans six ou sept ans, un gisement au volume très incertain et, coup de grâce, un pays ne disposant pas des technologies nécessaires et qui devrait collaborer avec de grandes multinationales qui prélèveraient leur part.
Pourtant, Erdogan et l’AKP sont réputés en matière de promesses clinquantes. Pas moins de 31 annonces de découverte de gisements d’hydrocarbures ont été faites entre 2003 et 2020, chaque fois comme par hasard avant une élection ! Juste avant les municipales de 2019, par exemple, 20 000 milliards de mètres cubes de gaz auraient été découverts en Thrace.
Des gisements beaucoup moins fantomatiques n’en sont pas moins à la source des tensions en Méditerranée orientale. En Turquie, en Grèce, et même en France, le partage d’importants gisements sous-marins entraîne tous les acteurs, à commencer par le gouvernement Macron, à hausser le ton. Or, si les volumes de gaz qui excitent les convoitises étaient, selon les annonces du gouvernement chypriote en 2007, de 250 milliards de mètres cubes, l’estimation a ensuite rapidement fondu, sans que les consommateurs européens en aient encore vu la couleur. Six ou sept ans auraient pourtant dû suffire, selon des études techniques, pour que le marché européen soit alimenté.
Le « miracle » d’Erdogan se résume probablement à des gisements de faible rentabilité et aux volumes surestimés, qui ne suffiront pas à redresser sa popularité en chute libre. En attendant, les diverses puissances présentes dans le secteur brandissent des menaces réciproques. Dans le contexte de crise et de guerre commerciale entre puissances, il n’est pas sûr que cela reste purement verbal.