- Accueil
- Lutte ouvrière n°2715
- Biélorussie : un pouvoir de plus en plus contesté
Dans le monde
Biélorussie : un pouvoir de plus en plus contesté
Comme les précédentes farces pseudo-démocratiques organisées dans ce pays, l’élection présidentielle du dimanche 9 août, en Biélorussie, a abouti à la victoire officielle de Loukachenko, dictateur en place depuis 26 ans, avec 80,08 % des suffrages. Mais la mascarade ne passe plus et a suscité une vague d’indignation.
Face à Loukachenko, la candidate Svetlana Tikhanovskaïa avait remplacé au pied levé son mari, un blogueur en vue critiquant le régime, empêché de se présenter et emprisonné. Elle a cristallisé sur son nom en quelques semaines le rejet du pouvoir, qui constituait le thème unique de sa campagne. Elle a eu un écho non seulement dans les milieux de la petite bourgeoisie aux aspirations libérales et pro-occidentales auxquels elle appartient, ainsi que d’autres candidates qui l’encadraient, épouses d’un banquier et d’un diplomate, mais semble-t-il aussi dans les classes populaires.
Dès l’annonce des résultats officiels, des rassemblements ont eu lieu, tandis que des sondages de sortie des urnes lui donnaient la victoire avec 72 % des voix. L’intervention brutale des forces de l’ordre a déclenché la colère. Jour et nuit, des manifestations se sont multipliées dans plus de trente villes. Des cortèges de voitures ont bloqué les rues et les carrefours. Des affrontements ont eu lieu avec la police, faisant des blessés de part et d’autre. L’Internet biélorusse a été coupé, mais sur les réseaux sociaux, par le biais d’autres fournisseurs d’accès, des appels à se regrouper ont continué à circuler.
Loukachenko a affiché sa fermeté, accusant « l’étranger » d’avoir organisé les manifestations. Plus de 3 000 personnes ont été arrêtées dès le premier soir. Le 11 août au matin, on apprenait que Tikhanovskaïa se trouvait en Lituanie, pays voisin membre de l’Union européenne, sans qu’on sache si elle s’y était rendue de son plein gré ou avait été expulsée.
Il faut souligner l’hypocrisie des protestations des dirigeants occidentaux, notamment français, contre la falsification des élections. Les pays impérialistes s’accommodent de bien d’autres dictatures, y compris en Europe, et en réalité ils ont su tirer avantage de celle de Loukachenko aussi. La Biélorussie, zone tampon entre l’Union européenne et la Russie, leur permet notamment de contourner leurs propres sanctions contre Moscou pour continuer à y faire leurs affaires.
Depuis son accession au pouvoir en 1994, Loukachenko, représentant de la bureaucratie biélorusse, n’a cessé de louvoyer entre les pays occidentaux et la Russie pour tenter de s’assurer une marge de manœuvre. Le pays reste dépendant de la Russie, notamment pour la fourniture et l’exploitation des matières premières, son économie s’étant construite en lien avec l’URSS, sa population parlant russe et étant liée à la population russe. D’autre part, la Biélorussie est restée un pays relativement industrialisé et Loukachenko a cherché à attirer technologies et capitaux occidentaux. Il a favorisé des privatisations dans divers secteurs. Mais sa boussole, en tout état de cause, est toujours restée l’enrichissement de la bureaucratie biélorusse et des milieux d’affaires qui lui sont liés.
À la veille des élections, Loukachenko se présentait encore comme garant de l’indépendance par rapport à Moscou, cherchant par la même occasion à regagner les voix d’une partie des libéraux. Mais, à présent, sa situation rappelle celle de Ianoukovitch, le président ukrainien renversé en 2014 par le mouvement du Maïdan. L’avenir dira si sa situation est aussi fragile. Poutine, en tout cas, craignant une déstabilisation qui risquerait de faire contagion et d’éloigner un État supplémentaire de la sphère d’influence russe, s’est empressé de saluer sa victoire électorale.
Mardi 11 août, plusieurs usines se mettaient en grève, tandis que des syndicats liés à l’opposition, ou en train de la rejoindre, appelaient à la grève générale. Pour les dirigeants de l’opposition, la classe ouvrière n’est appelée à descendre dans la rue que comme masse de manœuvre pour faire pression sur le régime. Il serait de son intérêt de manifester en son nom propre, de s’organiser dans les usines et les villes, pour défendre ses propres objectifs, face à ceux de la bureaucratie au pouvoir, mais aussi face à ceux de la bourgeoisie libérale qui aspire seulement à accéder au pouvoir politique.