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Mali : politiciens et imams exploitent le mécontentement
Plusieurs dizaines de milliers de manifestants sont descendus dans les rues de Bamako vendredi 19 juin pour réclamer la démission du président Ibrahim Boubacar Keïta. Ils répondaient à l’appel du Mouvement du 5 juin-Rassemblement des forces patriotiques, une coalition de partis et d’associations menée par l’imam Mahmoud Dicko.
À la remorque de cet imam, on trouve d’anciens ministres et des politiciens écartés de la mangeoire gouvernementale. Après celle du 5 juin, c’était la seconde manifestation massive
Mahmoud Dicko a quitté il y a un an la présidence du Haut conseil islamique qu’il avait dirigé pendant onze ans. À la tête de cette instance, il n’a jamais cessé de mobiliser ses troupes contre les droits des femmes, faisant à chaque fois plier les présidents. En 2009, il avait rassemblé près de 50 000 personnes dans le plus grand stade de Bamako contre le nouveau Code de la famille que voulait instaurer le président de la République alors en place, Amadou Toumani Touré. Dans ce nouveau code, le mariage des jeunes filles, alors autorisé dès 13 ou 14 ans, était repoussé à 18 ans. En cas de succession, l’égalité totale aurait été appliquée entre filles et garçons, sauf demande expresse du défunt. Le « devoir d’obéissance » de la femme à son mari était aussi supprimé.
Il n’a pas fallu longtemps pour que le président batte en retraite devant les démonstrations des religieux. Après avoir soutenu Ibrahim Boubacar Keïta, mis en place par la France dans la foulée de l’intervention militaire de 2013, l’imam Dicko s’est heurté à lui lorsqu’au début 2019 le ministre de l’Éducation nationale du Mali a voulu introduire quelques notions d’éducation sexuelle dans l’enseignement. Ibrahim Boubacar Keïta n’a pas tardé à reculer face aux imams réactionnaires, comme l’avait fait son prédécesseur.
Aujourd’hui, Dicko et ceux qui le suivent tentent de profiter du discrédit de l’actuel président et veulent capitaliser à leur profit la colère qui s’exprime dans plusieurs villes où ont éclaté des émeutes allant jusqu’à l’incendie de bâtiments officiels. La population ne supporte plus les coupures d’électricité dans les quartiers populaires, les difficultés d’accéder à l’eau potable, l’école qui ne fonctionne pas depuis plusieurs années, alors que parallèlement le clan du président s’enrichit effrontément. Le rejet de l’intervention militaire française, qui soutient un tel régime tout en étant incapable d’assurer la sécurité face aux groupes djihadistes, ne cesse de croître.
Ces leaders qui invitent les travailleurs et les couches populaires maliennes à se ranger derrière eux, imams réactionnaires ou vieux chevaux de retour de la politique malienne, ne sont pas différents d’Ibrahim Boubacar Keïta. S’ils arrivaient d’une manière ou d’une autre à se hisser au pouvoir en utilisant la colère populaire, ils mèneraient exactement la même politique. La corruption, la soumission servile à l’impérialisme français et le mépris le plus total pour les besoins élémentaires de la population seront encore au menu, assortis des préjugés véhiculés par les tenants de l’islam rigoriste à l’égard des femmes.
Alors, les travailleuses et les travailleurs qui aujourd’hui s’opposent à la politique du président en place ne doivent pas non plus être dupes des leaders de cette opposition. Dans leur lutte contre les couches dirigeantes et contre l’impérialisme, ils doivent se donner leurs propres organisations.