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- Lutte ouvrière n°2700
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La société en crise
Le programme du CNR : tromperies d’hier et d’aujourd’hui
Devant la crise sociale qui commence, la vague de licenciements déjà programmée, les milliards d’euros de cadeaux aux grandes entreprises qu’il faudra bien payer et les situations, comparables voire plus explosives encore, dans tous les pays du monde, les références au Conseil national de la Résistance (CNR) se multiplient du côté de la gauche, et pas seulement.
Du PCF au PS, de Mélenchon au porte-parole des Verts, le programme du CNR de 1943 est présenté comme le fondement d’une République sociale, parée de toutes les vertus et qui aujourd’hui encore pourrait tirer le pays d’un mauvais pas.
Le CNR et les gouvernements qui l’ont suivi voulaient d’abord éviter à la bourgeoisie française que la fin de la guerre ne débouche sur une crise révolutionnaire. Formé en 1943, fédérant les divers mouvements de résistance derrière De Gaulle, il voulait constituer l’appareil politique capable de prendre les rênes de l’État, une fois les armées allemandes parties et le régime de Vichy effondré. La bourgeoisie française, après avoir soutenu Pétain et fait ses affaires avec l’Allemagne, redoutait deux périls. D’une part, elle voulait garder son empire colonial en dépit de la volonté des peuples colonisés et de la concurrence américaine. D’autre part, unie en cela avec les impérialismes américain et britannique et la bureaucratie de Staline, elle voulait éviter une révolution sociale au sortir de la guerre et donc s’assurer de la continuité de l’État. Le souvenir de la période révolutionnaire de 1917-1920 était encore cuisant. Le CNR réalisait donc l’union nationale de tous les partis de conservation sociale, mis à part les débris accrochés à Pétain qui n’avaient pas su changer d’uniforme à temps. De Gaulle en était la figure de proue, le PCF l’appareil réel, fort du dévouement de dizaines de milliers de militants aptes à influencer la classe ouvrière.
Le CNR, gaullistes compris, ne pouvait pas promettre de revenir aux jours d’avant, c’est-à-dire à une troisième République vermoulue, qui n’avait tenu aucune des promesses de 1936 et s’était honteusement transformée en « État français » sous Pétain. Il ne pouvait évidemment que promettre des jours heureux, dire qu’il rognerait les dents du capital, qu’il assurerait la liberté de la presse, la retraite des vieux travailleurs et les assurances sociales.
Son programme économique comprenait la nationalisation des industries clés, de l’énergie, des transports, des banques. Faire repartir l’économie le nécessitait et puis quelle meilleure façon de racheter aux grands patrons les secteurs à la fois sinistrés et indispensables et de leur permettre de reprendre leurs affaires avec des capitaux frais dans des secteurs neufs ? Car les nationalisations furent payées rubis sur l’ongle.
Le CNR se transforma dès 1944 en gouvernement provisoire, avec des ministres du PCF et du PS, puis en gouvernement tout court après le débarquement du 6 juin et la progression des armées américaines. Grâce à l’union nationale, c’est-à-dire avant tout grâce au poids du PCF dans la classe ouvrière, la transition politique s’effectua sans difficulté. Les travailleurs furent remis au travail et durent serrer les dents pendant des années avant de retrouver, non pas des jours heureux, mais des horaires normaux, la fin des cartes d’alimentation et des hébergements provisoires. Non seulement l’ordre social ne fut pas ébranlé, mais les colonies restèrent aux mains du capital français, par le fer et par le feu en Algérie, en Indochine, à Madagascar, pour ne citer que les répressions les plus sanglantes.
Les concessions verbales contenues dans la constitution de 1946, le droit au travail par exemple, n’ont jamais changé quoi que ce soit au sort des travailleurs. Les concessions, bien maigres à l’époque, comme le statut des fonctionnaires, la place faite aux syndicats dans les institutions et surtout la Sécurité sociale sont en voie d’être détruites. En revanche la politique du CNR, c’est-à-dire essentiellement le ralliement des appareils ouvriers à la reconstruction du capitalisme, lui a remis le pied à l’étrier pour les décennies suivantes, avec leur cortège de calamités, jusqu’à la crise actuelle.
Alors, ressortir du placard aujourd’hui le programme du CNR, c’est proposer de recommencer ou de poursuivre la même politique pour toute une période, avec les mêmes résultats ou pire encore. Le système capitaliste a fait plus que son temps. On ne peut pas le rapetasser, il faut le renverser.