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La société en crise
Face au coronavirus : une classe dirigeante faillie
Le confinement et ses impératifs amènent ceux qui se revendiquent des idées communistes révolutionnaires à trouver les moyens de continuer à propager leurs idées et d’agir en adaptant leurs méthodes aux circonstances.
Circonstances créées par la propagation rapide d’un virus jusque-là inconnu, mais dans une situation marquée par la pénurie de produits élémentaires pour la prévention comme le gel hydroalcoolique ou les masques. Pénurie aussi dans les hôpitaux, des respirateurs aux produits anesthésiants de base tels que le curare et jusqu’aux surblouses du personnel soignant. Tout le système hospitalier s’est retrouvé dans l’impréparation au moment de faire face à une pandémie inconnue, après des années d’affaiblissement résultant d’une politique voulue, imposée par la bourgeoisie à ses serviteurs politiques des gouvernements successifs : course à la rentabilité, soumission des hôpitaux à la finance, réduction continue des lits et des effectifs…. Tout ce qui a poussé le personnel des hôpitaux ou des Ehpad à se mobiliser pendant des mois.
Il apparaît évident que ladite crise du coronavirus va se prolonger et la fin du confinement repoussée, étalée, fractionnée. Macron vient de fixer au 11 mai le début d’un processus de déconfinement. Même si cette date sera difficilement tenue, le fait de l’indiquer vise surtout à dégager les obstacles devant une reprise de l’activité des grandes entreprises, réclamée à grands cris par les représentants du grand patronat. Même les nécessités pédagogiques évoquées pour justifier l’ouverture partielle des écoles cachent mal la préoccupation de « libérer » les parents de la charge des enfants, afin qu’ils puissent aller se faire exploiter.
La pandémie va être relayée par la crise économique qui a déjà commencé. Celle-ci ne date certes pas de l’apparition du coronavirus ! Mais la crise du coronavirus aura été le facteur déclenchant de son aggravation brutale.
Épidémie et contorsions gouvernementales
Ce qui va se passer pendant les semaines et peut-être les mois qui viennent dépend tout à la fois de l’évolution de la pandémie qui échappe pour le moment aux scientifiques, mais aussi de l’interprétation que le gouvernement en fait.
Ce qui caractérise sa politique est une attitude schizophrénique qui l’amène à des contorsions, afin d’obéir aux souhaits du grand patronat tout en essayant de ménager l’opinion publique.
La volonté du grand patronat et des gros actionnaires vient d’être exprimée par Roux de Bézieux : il faut redémarrer au plus vite la machine à profit. Nombre d’entreprises poursuivent la production, y compris de marchandises inutiles voire nuisibles, malgré le confinement. Celles qui ont fermé un moment, ont manifestement la volonté de remettre au travail leurs ouvriers. PSA en France en est un cas symbolique. Les grands trusts de l’automobile aux États-Unis poussent dans le même sens. Coronavirus ou pas, les lois du marché, la concurrence continuent et pour les plus grands fauves du capitalisme, la période et ses incertitudes offrent des opportunités. Il serait naïf de s’étonner qu’ils veuillent s’en servir en faisant payer leurs travailleurs. S’il y a une permanence dans l’histoire du capitalisme depuis qu’il s’est imposé comme mode de production dominant, c’est bien cela.
Quant à la pression de l’opinion publique, elle se manifeste de façon contradictoire, par un relâchement par rapport au confinement et, dans le sens contraire, par les réactions des milieux scientifiques. Le gouvernement est déchiré entre la pression du patronat et celle de ces milieux, qui désapprouvent ses demi-mesures, ses tergiversations et, surtout, son incapacité de fournir aux soignants le matériel dont ils ont besoin. Les deux conseils scientifiques qui ont été mis en place avec des fonctions différentes, servent de paravent au gouvernement pour justifier ses décisions. Il n’a pas envie d’assumer la responsabilité politique d’une démission collective de ces conseils, dont le bruit circule.
Les activités politiques de Lutte ouvrière
C’est dans ce contexte que se situent les activités politiques de Lutte ouvrière. Il ne faut pas faire passer à l’arrière-plan, ni négliger et encore moins oublier notre activité spécifique sur le terrain de la lutte de classe et du communisme révolutionnaire. Militer sur le terrain associatif est fort estimable, et nous avons beaucoup de respect pour ceux qui le font, et cela ne date pas seulement d’aujourd’hui. Mais participer aux Restos du cœur ou à Droit au logement n’est pas militer pour la construction d’un parti communiste révolutionnaire. Fort heureusement, des milliers de personnes sont amenées spontanément à donner de leur temps et de leurs forces pour des activités sociales bénévoles.
Là encore, la crise du coronavirus agit comme un révélateur. Il y a dans le monde du travail des trésors d’initiative, d’imagination, de volonté d’œuvrer pour le bien de la collectivité. Ce sont des trésors enfouis, des initiatives étouffées ou brisées par la bourgeoisie et son État, par sa structure sociale hiérarchisée du haut contre le bas. La direction de la société est monopolisée par la classe sociale dont les intérêts sont aux antipodes de ceux de la collectivité. Elle insuffle à toute la société l’individualisme, le chacun pour soi qui pourrissent la vie sociale. Le propre des révolutions est de libérer la créativité des exploités. Nos convictions de révolutionnaires sont largement fondées sur tout cela. Cela peut se manifester, spontanément, dans d’autres circonstances et faire surgir des attitudes de militant. Mais, en revanche, hors de périodes révolutionnaires, justement, il y a infiniment moins de femmes et d’hommes pour continuer à maintenir déployé le drapeau de l’émancipation sociale et continuer à en faire avancer la cause.
Il est important de continuer le combat qui est le nôtre en nous donnant les moyens de le faire de façon adaptée aux contraintes du confinement. Il y a là un vaste champ pour les initiatives en utilisant les multiples possibilités des instruments de communication modernes. Sur le fond, ce n’est cependant pas une question technique. Avec plus ou moins de difficultés en fonction de la période et des rapports de force entre les classes, le mouvement ouvrier révolutionnaire est toujours parvenu à faire cheminer ses idées, en dernier ressort pour cette raison qu’elles expriment les intérêts de classe de la majorité exploitée.
Continuer à le faire est d’autant plus important que, devant l’incurie du gouvernement, un nombre de travailleurs plus grand qu’en temps ordinaire se pose des questions et cherche des réponses. Il est important qu’ils aient un autre son de cloche que celui de la presse bourgeoise ou des médias tenus par l’État, pour comprendre que l’incurie n’est pas seulement celle du gouvernement mais celle de toute l’organisation sociale basée sur la propriété privée des moyens de production, la course au profit et l’exploitation.
La pandémie et le confinement pour y répondre dans un contexte de pénurie due au fonctionnement capitaliste de l’économie auront été le facteur déclenchant de la crise, mais aussi un moyen de l’occulter dans une large mesure. Le coronavirus aura été ce qu’a été l’effondrement boursier du fameux Jeudi noir du 24 octobre 1929. Et à en juger par le point de vue d’un certain nombre d’économistes, totalement incapables d’approfondir la cause fondamentale de la crise mais qui ont des éléments pour la constater, ce qui se produit déjà sous nos yeux est pire qu’à l’époque.
Le quotidien Les Échos titrait à la Une du 7 avril « Économie : un choc historique » et affirmait en sous-titre, « La croissance française sera la plus faible depuis 1945, selon Bruno Le Maire », puis « Beaucoup d’économistes estiment désormais que le PIB baissera de plus de 5 % cette année, soit deux fois plus qu’en 2009 », ou encore « Le virus va faire plonger 68 pays en récession en 2020 »
Aux États-Unis le chômage a augmenté de 10 millions de chômeurs, et tout cela en l’espace d’une quinzaine de jours ! Une brutalité sans précédent même en 1929. On sait que les statistiques sur le chômage sont partout largement fausses, et en particulier aux États-Unis. Des économistes affirment que l’indice du chômage est passé, en une quinzaine de jours, d’un peu moins de 4 % par rapport à la population active à près de 10 %. Les chiffres sont faux, mais l’évolution qu’ils indiquent est catastrophique.
Signalons en passant que la crise qui indique l’effondrement d’un certain nombre d’entreprises capitalistes se traduit aussi par le renforcement d’autres. Si certaines seront ruinées, d’autres font des progrès fantastiques. On en a déjà un aperçu avec la façon dont profitent de la crise des sociétés telles que les géants capitalistes de la distribution ou Amazon, Netflix et bien d’autres. L’effondrement en revanche dans les domaines du tourisme, du transport aérien et même, dans une certaine mesure, dans la filière automobile (sous-traitants surtout) conduira à des bouleversements dans le rapport des forces entre grands fauves du capitalisme impérialiste. La seule certitude est que les plus puissants sont infiniment plus près d’avaler les moins puissants que l’inverse.
Les périodes de crise sont celles où le mode de production capitaliste résout les problèmes qui résultent de la course anarchique au profit. C’est le moment où se rétablit, après coup et dans la douleur et les souffrances, l’équilibre entre les capacités productives de l’économie et les besoins solvables. C’est là où l’économie capitaliste se débarrasse de ses branches mortes pour concentrer le grand capital entre toujours moins de mains.
Intensification des luttes de classes
Par quelles conséquences politiques se traduira cet effondrement ? La seule chose qu’on peut en dire est qu’elles seront considérables, mais aussi qu’elles sont imprévisibles. Déjà sous prétexte de lutte contre le coronavirus, les frontières se sont fermées et le mythe de l’Union européenne sombre dans la confrontation des « égoïsmes nationaux », c’est-à-dire des intérêts disparates des États. Toujours sous ce prétexte de lutte contre le coronavirus, il y a une évolution générale vers l’autoritarisme des régimes politiques. Les pays d’Europe centrale n’ont certes que peu de poids dans l’évolution du monde capitaliste, mais ils ont souvent constitué dans le passé des indications sur l’évolution du reste. Un Orban, en Hongrie, vient de se donner le droit de gouverner par ordonnances pour une période illimitée.
Les éléments politiques et humains d’une évolution dans le sens autoritaire peuvent s’appuyer sur la montée des idées les plus rétrogrades, au nom de la religion ou pas.
Mais, parallèlement, réapparaît le spectre de la lutte des classes. L’intelligentsia réformiste social-démocrate, faussement naïve et plus faussement encore humaniste, découvre que la classe ouvrière existe, comme le montre par exemple un article du Monde du 2 avril. Cette « découverte » sert en général de justification aux réformistes de toute obédience pour ressortir le vieux fatras social-démocrate, et pour faire des offres de service à la bourgeoisie. Le chroniqueur du Monde titrait sa chronique du 10 avril : « L’après Covid-19 : à gauche toute ? », pour affirmer doctement : « Les recettes avancées pour lutter contre la pandémie appartiennent à la famille social-démocrate. »
Il est impossible de deviner quelles seront les forces politiques dont la bourgeoisie disposera lorsque les réactions de mécontentement, pour le moment éparses, se traduiront par des mouvements sociaux, c’est-à-dire par l’intensification de la lutte de classe. La classe qui se mettra en branle la première sera-t-elle la classe ouvrière ou telle ou telle catégorie de la petite bourgeoisie dont on perçoit le désespoir montant face à l’étranglement de ses affaires ? Pour le moment, si on sent le mécontentement, voire la colère s’exprimer parmi les travailleurs ici ou là, ce qui semble dominer est l’inquiétude pour l’avenir et le « y en a marre » du confinement. Au point de pousser certains à être volontaires pour reprendre le travail quand les contraintes de l’inactivité pèsent plus que la peur de la contamination.
Une classe dominante faillie
Quelle sera l’attitude de la grande bourgeoisie ? Fera-t-elle le choix de la « carotte » réformiste et étatique, ou celui du « bâton » d’un régime autoritaire ? Le choix d’endormir les classes opprimées par des promesses ou celui de tenter de les briser ? Elle fera probablement les deux, simultanément ou successivement.
Les expériences du passé nous aident à raisonner, mais pas du tout à prévoir. Les gouvernements nationaux d’Europe négocient des plans pour relancer l’économie. Ils n’ont pas besoin de se consulter sur la volonté largement partagée d’arroser de milliards le patronat. Mais qui financera ? Ce sera les classes exploitées, c’est une certitude, mais ce qui est commun aux gouvernants ne règle pas les bras de fer entre États. L’entente qui vient d’être bricolée entre États européens pour « mutualiser » les lignes de crédit pour relancer l’activité n’est pour le moment qu’une déclaration d’intentions. Si elle se réalise, elle se traduira par le fait que les puissances impérialistes d’Europe seront « plus mutualisées » que d’autres, au détriment des pays de la partie pauvre de l’Union.
La caisse grande ouverte devant le grand patronat ne suffira sans doute pas. Les États auront alors recours aux nationalisations. Cette « revendication », le dirigisme étatique, si prisée par les réformistes, surtout de variante stalinienne – un parti comme La France insoumise s’en pose en successeur, de manière plus ouvertement réformiste – toutes les bourgeoisies savent y recourir lors des guerres. Les lois du marché et de la concurrence ne suffisent pas à certaines périodes pour défendre les intérêts généraux de la bourgeoisie nationale, quand ils ne se retournent pas contre eux. Pour le moment, même les États-Unis, pays du capitalisme le plus libéral, découvrent un certain étatisme social, dans les discours au moins.
En France, il y a une plus ancienne tradition en la matière. Que l’on songe à l’attitude de la bourgeoisie au lendemain de la Deuxième Guerre mondiale, par crainte d’une vague révolutionnaire après la guerre. Le gouvernement a déjà pris des mesures qu’il appelle sociales (paiement par l’État du chômage partiel, report de la réforme des retraites, etc.). Insuffisantes pour pallier les conséquences de la crise sanitaire pour les travailleurs, ces mesures coûtent. La bourgeoisie pour le moment semble accepter que ces mesures soient financées par la création monétaire, c’est-à-dire par la fabrication en grand de fausse monnaie. Il n’est pas dit que, si le mécontentement de la petite bourgeoisie se transforme en colère et lui en donne les moyens, elle ne choisira pas des méthodes plus violentes.
Jouer aux devinettes n’a pas de sens. Il faut que celles et ceux qui se retrouvent dans les idées du communisme révolutionnaire soient capables de faire face à l’intensification de la lutte de classe. Qu’ils gardent leur boussole politique qui résulte des expériences de deux siècles et plus du mouvement ouvrier révolutionnaire. Il faut qu’ils le fassent sans impatience, sans gauchisme, sans prendre leurs désirs pour la réalité. Nul ne sait quand notre classe se lancera dans le combat et personne n’a le pouvoir de provoquer les montées révolutionnaires. Mais il faut s’y préparer.
Il faut que nous soyons capables de résister aux vents contraires, au cas où la bourgeoisie choisirait l’autoritarisme accru ou la violence, et au cas où la situation lui fournirait les moyens, les forces sociales pour l’imposer. Plus important encore : si la classe ouvrière se met en mouvement il faut que le courant communiste révolutionnaire soit capable de défendre son programme et d’en convaincre les masses ouvrières afin qu’elles se donnent les moyens de pousser leur combat jusqu’au bout, jusqu’au renversement du pouvoir de la bourgeoisie et à son expropriation.
La classe privilégiée faillie incarne le passé de l’humanité, pas son avenir.