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Tunisie : entre un affairiste et un réactionnaire
Le deuxième tour de l’élection présidentielle en Tunisie, le 13 octobre, a été marqué par le rejet de l’un des candidats, Nabil Karoui, et de ce qu’il représente, plus que par l’adhésion enthousiaste à la personne et au programme de l’autre, Kaïs Saïed.
Au premier tour, les électeurs avaient signifié aux 26 candidats qu’ils en avaient assez du système qu’ils représentent. Mais la loi électorale fait qu’au second, deux des candidats, les moins rejetés, restaient en lice. Le président de la République tunisienne est donc élu aussi mal que celui de la République française, par défaut.
Au second tour, Karoui, qui se présentait sous l’étiquette vague « Au cœur de la Tunisie », a doublé ses voix tandis que Saïed, qui se voulait candidat « indépendant » des partis, les a plus que quadruplées avec 2,7 millions de suffrages. Sur plus de sept millions d’inscrits, seuls 3,8 millions se sont exprimés, dont 72 % sur le nom de Kaïs Saïed. Forcée de choisir entre la peste et le choléra, la population hérite donc à la tête du pays d’un réactionnaire islamiste mal dissimulé.
S’étant présenté comme le Monsieur Propre de la classe politique tunisienne, peu avare de « nouveau système », de « nouveaux instruments juridiques », de « changement de légitimité », Saïed est aussi connu pour ses positions réactionnaires. Parfois taxé d’influences salafistes, il est en tout cas opposé à l’abrogation de la peine de mort, à la dépénalisation de l’homosexualité et à la modification de la loi qui limite l’héritage d’une sœur à la moitié de celui de son frère. Tout cela au nom de ce que Saïd appelle la véritable « équité », opposée à « l’égalité formelle ». La revendication des droits élémentaires et indispensables ne serait, selon lui, qu’un faux problème posé sous l’influence des « recommandations de l’Europe ».
De son côté, Nabil Karoui, souvent vu comme le Berlusconi tunisien puisque beau parleur et propriétaire de la chaîne de télévision Nessma, se voulait le candidat « moderniste ». L’image d’homme intègre, austère et rigide qu’a présentée Saïed, son indépendance affichée vis-à-vis des partis existants contrastait avec celle de Karoui, le bourgeois européanisé, obligé de faire campagne depuis sa prison, accusé de corruption et blanchiment. Ce dernier avait fait campagne pour l’éradication de la pauvreté, distribué des aides lors de ses visites, mais le « candidat des pâtes » comme disaient ses détracteurs n’a pas convaincu les masses de jeunes sans emploi et les femmes des campagnes qui luttent pour survivre.
Dans ce second tour, Saïed a sans doute obtenu aussi les voix du candidat du parti islamo-conservateur Ennahda, arrivé alors en 3e position. Entre les deux tours d’ailleurs, l’élection législative a aussi porté en tête Ennahda, même s’il n’obtient que 52 sièges au lieu de 89 dans la précédente assemblée. Le parti islamiste est suivi de Qalb Tounès, le nouveau parti de Karoui, qui obtient 38 sièges. La formation du nouveau gouvernement est à présent entre les mains d’un duo entre Saïed, le nouveau président, et le représentant d’Ennahda, Rached Ghannouchi.
Près de neuf ans après le mouvement populaire qui a chassé Ben Ali, personne ne peut regretter la fin de la dictature. Mais le poids du chômage, de la corruption, de la hausse des prix (7 % officiellement en 2019), la pauvreté de régions entières, notamment rurales, ne peuvent qu’alimenter la révolte des oubliés. Les résultats de ces élections n’y changeront rien.