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Mugabe : la trajectoire d’un nationaliste
Le 15 septembre, une cérémonie nationale au Zimbabwe rendait hommage à Robert Mugabe, dictateur du pays pendant 37 ans, mort à 95 ans au début de ce mois.
Mugabe était arrivé au pouvoir en 1980, avec la création du Zimbabwe, nouveau nom de la Rhodésie du Sud. Dans cette ancienne colonie britannique, la minorité blanche avait instauré depuis 1965 un régime de ségrégation raciale destiné à préserver sa domination et celle des trusts anglo-américains. Dirigée par Ian Smith, cette féroce dictature se révéla pourtant incapable d’écraser les guérillas nationalistes qui la combattaient, dont la ZANU (Union nationale africaine du Zimbabwe) menée par Mugabe. En 1980, après plusieurs années de guerre civile, le régime finit donc par conclure un accord, sous la tutelle de l’ancienne puissance coloniale.
S’il consacrait l’indépendance du Zimbabwe, avec Mugabe à sa tête, cet accord préservait l’ancien appareil d’État raciste, maintenait en place nombre de ses ministres, et réservait même un quart des sièges du futur Parlement aux Blancs, dont Ian Smith et tout son état-major. Les quatre principales multinationales opérant dans le pays (Anglo-American, Union Carbide, RTZ et Lonhro) conservaient les mêmes avantages qu’auparavant. Quant aux fermiers blancs, qui accaparaient plus de la moitié des terres, on ne pouvait redistribuer leurs terres sans leur agrément et sans indemnisation.
Ayant ainsi pactisé avec ses ennemis de la veille, Mugabe réprima par contre sauvagement une vague de grèves, dès son arrivée au pouvoir, et instaura un pouvoir brutal contre la classe ouvrière. Sa dictature de fer ne dérangeait aucunement, bien au contraire, les dirigeants occidentaux : la reine d’Angleterre le décora en 1994.
Pendant près de deux décennies, Mugabe fut ainsi l’exécutant zélé des volontés de l’impérialisme, mettant en œuvre à partir des années 1990 les privatisations et les coupes dans les services publics imposées par le FMI. Mais, craignant pour son pouvoir face à la colère des classes pauvres jetées dans la misère, il choisit, à la fin des années 1990, d’appuyer les paysans pauvres noirs qui occupaient les terres appartenant à de riches fermiers blancs. En effet, alors que 4 500 Blancs se partageaient 50 % des terres productives, et contrôlaient 90 % de la production agricole du pays, l’écrasante majorité de la population noire rurale n’avait pas de terre, ou devait survivre sur des parcelles minuscules. Mugabe encadra le mouvement pour mieux le contrôler et fit saisir par la force près de 6 000 fermes. Non seulement il redistribua les plus rentables à ses obligés, mais il épargna souvent les plus riches. On était bien loin d’une réforme agraire en faveur des paysans pauvres.
Cela suffit cependant pour que les grandes puissances mettent Mugabe au ban, Bush fils ajoutant même le Zimbabwe à sa liste des États voyous en 2002. Les sanctions économiques commencèrent, gelant une partie des avoirs du pays dans les banques occidentales et tarissant les sources de devises. Et, malgré les nouveaux plans du FMI acceptés ensuite par Mugabe, l’embargo mis en place par les grandes puissances ne prit pas fin avant sa chute, fin 2017.
Aujourd’hui, le pays est exsangue, un tiers de la population vit de l’aide alimentaire et le taux de chômage avoisine les 80 %. Le coup d’État qui a écarté Mugabe en 2017 n’y a rien changé : l’inflation a atteint 175 % cet été.
Loin d’être l’ami des classes pauvres, Mugabe fut donc celui des puissants du monde capitaliste, qui lui reprochaient seulement de n’avoir pas toujours été assez docile. Et, s’il n’est pas pour rien dans la ruine de son pays, celle-ci est d’abord le produit de la domination impérialiste.