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Afrique : l’Union européenne fait la chasse aux migrants
Le 15 juin dernier, 406 migrants étaient sauvés par une équipe de l’Organisation internationale pour les migrations (OIM) dans le désert du Ténéré au Niger. L’un des survivants témoignait de leur calvaire : « Nous avons marché pendant des heures sous le soleil brûlant du désert, sans eau ni idée de notre direction. » Ils voulaient fuir la misère et la guerre.
Ces migrants s’étaient lancés dans cette folle aventure parce que la route normale, et sûre, était bloquée par les points de contrôle de l’armée nigérienne. L’OIM affirme avoir secouru 20 000 personnes depuis avril 2016 grâce à ses patrouilles, mais combien d’autres sont mortes dans le désert. Cette hécatombe, moins visible mais tout aussi importante que celle des noyés en Méditerranée, est le résultat de la politique de l’Union européenne (UE), qui finance les pays africains pour qu’ils deviennent les geôliers de leur population.
La route qui part d’Agadez au Niger vers la Libye est depuis longtemps la principale voie empruntée par les migrants d’Afrique de l’Ouest. Dans le groupe secouru en juin par l’OIM, se trouvaient des ressortissants de 14 pays, notamment du Mali, de Côte d’Ivoire ou de Guinée-Conakry.
Par cette route ont longtemps circulé librement des centaines de milliers de migrants en route vers la Méditerranée et l’Europe, en même temps que les marchandises et le bétail. Mais tout a changé en mai 2015, lorsque le gouvernement nigérien a pris une loi déclarant illégal le transport des migrants. Cette décision faisait suite au sommet européen de La Valette, la capitale maltaise, où les dirigeants européens ont mis en place le mécanisme devant leur permettre d’acheter la complicité des gouvernements des pays d’origine et de transit pour bloquer l’immigration vers l’Europe.
Plusieurs milliards d’euros ont été promis à ces gouvernements et un fonds fiduciaire d’urgence (FFU) créé, prétendument pour « lutter contre les causes profondes des migrations irrégulières ». La population du Niger n’a jamais vu la couleur des 266 millions alloués au pays dans cette enveloppe, mais l’armée a par contre été équipée de véhicules flambant neufs. Une unité d’élite a été constituée pour faire la chasse aux migrants et sa formation, assurée par l’Union européenne, a servi de prétexte pour verser d’autres fonds à l’armée et à la police.
L’autre grande voie vers l’Europe empruntée par les migrants africains est celle qui part de l’Érythrée et de la Somalie, traverse le Soudan pour aboutir en Libye et en Égypte. Les pays de cette zone étaient dépeints par les dirigeants européens comme d’abominables dictatures, ce qu’ils sont effectivement, et leurs dirigeants régulièrement traduits devant la Cour pénale internationale. Cela n’a pas empêché l’Union européenne d’engager le dialogue avec eux exactement dans les mêmes termes qu’avec ses protégés habituels d’Afrique de l’Ouest et de les financer pour arrêter les migrants. Ces accords sont l’objet du « processus de Khartoum », la capitale du Soudan, initié en novembre 2014. A la frontière Nord de ce pays, celle qui contrôle le passage vers la Libye, les gardes-frontières n’étaient autres que les tristement célèbres Janjawids, ces cavaliers qui avaient auparavant semé la terreur au Darfour. Leur chef, le général Hemetti, pouvait alors déclarer à juste titre : « Nous travaillons pour l’Europe. »
Ayant troqué leurs montures pour des véhicules modernes équipés de mitrailleuses, ces hommes sont devenus les tortionnaires des migrants, avant de massacrer cette année la population soudanaise en révolte. Aux frontières sud du Soudan, notamment celle avec l’Érythrée, l’armée régulière soudanaise parque les migrants dans des camps dont on ne s’échappe pas. Pour l’UE, ce sont autant d’hommes et de femmes qui n’atteindront jamais les rives de la Méditerranée. Et à l’intérieur même du pays, chaque point de contrôle est un obstacle que doivent contourner les exilés, en payant des passeurs dont les principaux ne sont autres que les généraux de l’armée soudanaise.
En Érythrée aussi, l’UE est à la manœuvre. Elle a oublié ses préventions contre un régime autrefois accusé de soutenir des organisations terroristes et aide la dictature à enfermer les habitants dans leur propre pays. Les natifs de ce petit pays constituent en effet une proportion importante des migrants vers l’Europe, fuyant un service militaire d’une durée illimitée, où les hommes sont battus et les femmes violées.
Une part importante des sommes distribuées par l’UE est aussi consacrée à financer dans les pays de transit des camps devenus immenses au fil des ans. Celles et ceux qui ont réussi à franchir les premières frontières mais ont ensuite été arrêtés y sont retenus. C’est ainsi le cas en Éthiopie, qui accueille 900 000 réfugiés du Soudan, du Soudan du Sud, d’Érythrée ou de Somalie. 219 000 réfugiés somaliens s’y trouvent par exemple répartis dans les cinq camps de Dolo odo, dans le sud du pays. L’Union européenne demande ainsi à des pays pauvres d’accueillir les immigrants auxquels elle-même ferme ses portes.
Tous ces obstacles mis par l’Union européenne au long des milliers de kilomètres qui séparent leur pays d’origine des rives de la Méditerranée n’empêchent pas certains migrants d’y parvenir, au prix de mille souffrances, en ayant mille fois frôlé la mort ou la torture. Ils s’y trouvent alors confrontés encore une fois à la même politique. Les garde-côtes libyens, équipés et aidés par l’Union européenne, les interceptent et les remettent à des milices qui les réduisent en esclavage.
Pour mener cette politique criminelle, les gouvernements de l’Union européenne ont trouvé l’aide de dirigeants africains prêts à vendre leurs peuples. Mais les plus grands bandits sont bien ces chefs de nations européennes qui se prétendent de grands démocrates, des défenseurs de la civilisation et font à longueur de conférences des leçons sur le respect des droits de l’homme, mais sont capables de planifier à coups de milliards d’euros la barbarie à l’échelle d’un continent.