Soudan : face aux manœuvres des militaires, la mobilisation continue01/05/20192019Journal/medias/journalnumero/images/2019/05/2648.jpg.445x577_q85_box-0%2C104%2C1383%2C1896_crop_detail.jpg

Dans le monde

Soudan : face aux manœuvres des militaires, la mobilisation continue

Près d’un million de manifestants se sont rassemblés le 25 avril dans les rues de la capitale, Khartoum, pour exiger l’instauration d’un pouvoir civil. Des milliers d’entre eux restent mobilisés devant le siège de l’état-major, le lieu central de la contestation qui a abouti à la chute du dictateur Omar al-Bachir.

La population soudanaise en révolte ne veut à aucun prix se laisser voler par les chefs militaires une victoire acquise au prix de quatre mois de lutte. Les dirigeants de l’état-major n’ont écarté Omar al-Bachir que pour garder entre leurs mains la réalité du pouvoir, instaurant pour cela un Conseil militaire de transition. Ce 25 avril, les manifestants ont donc afflué à Khartoum à l’appel de l’Association des professionnels soudanais et des partis d’opposition, regroupés dans l’Alliance pour la liberté et le changement. Ils sont venus de tout le pays, de régions éloignées comme le Nil Bleu, l’État de Jazira ou même du Darfour ensanglanté par les tueries d’Omar al-Bachir, et aussi de villes ouvrières. Les femmes, comme depuis le début du mouvement, étaient nombreuses. Il faut dire que les militaires ont garanti aux partis intégristes musulmans que la loi islamique serait maintenue jusqu’à nouvel ordre.

Cette manifestation était conçue par les dirigeants de l’Alliance pour la liberté et le changement, qui regroupe aussi bien le parti musulman de l’Ouma que le Parti communiste soudanais ou des groupes rebelles armés de différentes régions, comme un moyen de faire pression sur les chefs militaires avec lesquels des discussions s’étaient engagées la veille. Ces négociations se sont poursuivies les jours suivants, les chefs militaires comme les représentants de l’Alliance pour la liberté s’étant d’emblée accordés sur la création d’un conseil composé de civils et de militaires qui gouvernerait à la place du Conseil militaire de transition actuel. Il restait à déterminer la proportion de civils et de militaires, les pouvoirs de chacun et qui dirigerait ce conseil.

Mais si les chefs militaires se trouvent aujourd’hui contraints de lâcher un peu de lest face à une contestation qui ne faiblit pas, il serait parfaitement illusoire de croire qu’ils sont prêts à renoncer à leur mainmise sur le pays. Le porte-parole de l’état-major a ainsi déclaré lundi 29 mai au soir que la délégation de l’Alliance pour la liberté et le changement avait accepté de cesser le rassemblement devant le quartier général de l’état-major et de démanteler les barricades qui s’y trouvent. Cette information a été aussitôt démentie par les dirigeants du mouvement, qui ont au contraire appelé à renforcer ces barricades. On voit quel usage les chefs militaires entendent faire de ces négociations : convaincre les manifestants de rentrer chez eux.

Au Soudan, l’armée a été directement au pouvoir quasiment depuis l’indépendance en 1956. Seules deux brèves parenthèses de quelques années ont vu à la tête du pays un gouvernement civil, en 1964 et 1985, mais elles n’ont fait que préparer le retour des militaires. C’est dire que, pour se débarrasser définitivement de la dictature militaire, il faudrait bien autre chose que la participation de civils à côté des chefs de l’état-major à la tête du pays. Même un gouvernement entièrement civil qui laisserait les mains libres aux chefs militaires n’y suffirait pas. Pour la population, la seule garantie serait qu’elle s’organise de façon à démanteler elle-même, par en bas, l’appareil de répression mis en place sous Omar al-Bachir. Ce serait aussi la seule façon pour les classes populaires de s’assurer que les libertés de s’exprimer, de se réunir, de manifester ne puissent pas être remises en cause.

Quant aux problèmes qui ont jeté la population soudanaise dans la rue ces dernières années, l’incessante hausse des prix, celles de l’essence et du gaz en 2013, du pain en décembre 2018, ce n’est pas non plus l’absence d’uniformes dans le gouvernement qui permettra d’en venir à bout.

Pour garantir le régime vraiment démocratique auquel aspirent les manifestants, pour sortir la population de la catastrophe économique qui l’écrase, la seule voie serait que les travailleurs imposent des solutions ne tenant compte que de l’intérêt général. Ils sont les seuls à pouvoir les mettre en avant et y gagner l’ensemble des couches populaires, à condition pour cela de se donner leurs propres organisations.

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