Haïti : le pays bloqué par l’opposition au président27/02/20192019Journal/medias/journalnumero/images/2019/02/2639.jpg.445x577_q85_box-0%2C104%2C1383%2C1896_crop_detail.jpg

Dans le monde

Haïti : le pays bloqué par l’opposition au président

Du 7 au 18 février, la vie était comme en suspens en Haïti. C’était la paralysie totale des activités : l’école, le commerce, le transport, l’administration publique et privée, les marchés publics, l’informel, etc. À l’appel des politiciens de l’opposition largement dominée par Lavalas, le parti de Jean Bertrand Aristide et ses transfuges comme Pitit Dessalines de Jean Charles Moïse, des centaines de milliers de personnes ont gagné les rues de la capitale, Port-au-Prince, et des grandes villes du pays, pour crier haut et fort la détérioration brutale de leurs conditions de vie et réclamer la démission immédiate du chef de l’État.

Outre les manifestations drainant la grande foule à l’échelle nationale, des barricades enflammées, des barrages routiers, des jets de pierres, des incendies de stations d’essence et de véhicules, des émeutiers attaquant certains entrepôts, magasins et supermarchés, sont venus renforcer le climat d’effervescence et de tension à Port-au-Prince et dans le reste du pays.

Cette mobilisation lancée par les partis de l’opposition et dénommée Opération pays lock (Opération pays bloqué) a démarré le 7 février avec des manifestations imposantes dans la capitale et les principales villes du pays pour réclamer une solution à la misère, de plus en plus féroce avec la dévaluation sans frein de la gourde, et la démission du chef de l’État. Le jour suivant, c’était le « lock down » jusqu’à la démission de ce dernier selon le mot d’ordre des leaders de l’opposition. Malgré la répression féroce, les manifestants n’ont pas décoléré et ont même augmenté en nombre de jour en jour. Ce flux de manifestants n’était pas étonnant : dans les transports en commun, dans les marchés, dans les usines, les travailleurs lancent des cris de désespoir. Sur les réseaux sociaux, les gens étalent leur misère.

Aggravation des conditions de vie

Depuis le début de l’année 2019, les conditions de vie de la classe ouvrière et des masses pauvres se sont brusquement dégradées. La dévaluat ion accélérée de la monnaie locale par rapport au dollar entraîne une hausse vertigineuse des prix des denrées alimentaires telles que le riz, le haricot, la farine, l’huile, etc. La population pauvre qui vivait déjà d’expédients est à bout de souffle. Manger un plat par jour relève du défi. Cette situation économique calamiteuse fait basculer également dans la misère un nombre croissant de petits bourgeois, de petits employés de la fonction publique mais aussi du privé, qui voient leur pouvoir d’achat s’effriter chaque jour davantage. Cette détresse de la population contraste avec l’appétit débordant des classes riches. Poussant leur cupidité toujours plus loin, les commerçants anticipent la dévaluation de la monnaie en augmentant démesurément les prix des produits de première nécessité ; les patrons pressent les ouvriers pour leur extorquer un impôt que le gouvernement leur avait supprimé.

En même temps, du côté du chef de l’État et de sa clique au pouvoir, c’est la course aux richesses. Gabegie, concussion, corruption, déficit budgétaire, tout est bon pour vider les caisses de l’État et garnir leurs comptes en banque. Un scandale de corruption chevauche un autre.

Le président de la République, les hommes d’affaires soutenant ce dernier, les officiels du gouvernement et les dirigeants du PHTK¹ ont eu la frousse pendant toute cette période. Des manifestants en colère ont tenté maintes fois de marcher vers la résidence du chef de l’État à Pèlerin dans les hauteurs de Pétionville pour aller, disent-ils, le prendre au collet et le pousser à la démission. Ils ont été refoulés avec beaucoup de difficultés par la police. Depuis, le cortège présidentiel n’utilise plus de sirène et le président, dans la tourmente, quitte discrètement le palais.

Les principales ambassades ainsi que des ONG ont évacué massivement leur personnel. Le gouvernement étant dysfonctionnel, c’est la rue qui menait la danse pendant cette dizaine de jours qui ébranlèrent ce beau monde habituellement tranquille.

L’impérialisme américain qui fait et défait les présidents en Haïti n’a pas encore senti la nécessité de lâcher le président, craignant peut-être le pire après l’éviction de celui-ci. La crainte grandit également chez le président qui a fait une intervention publique après environ une semaine de mutisme. Le discours a été tourné en dérision par la population.

Cependant, après une semaine de mobilisations, la frousse se fait moins sentir car l’opposition, avec ses troupes de choc est en train de récupérer le mouvement de colère populaire.

Les partis d’opposition à la manoeuvre

Pour avoir raison de Jovenel Moïse, l’opposition n’est pas à son premier coup d’essai et surfe sur tout ce qui peut provoquer de la colère contre le pouvoir comme les scandales de corruption genre Petrocaribe et l’aggravation de la misère.

Sous la houlette des politiciens de l’opposition, la colère s’est petit à petit dirigée exclusivement contre le chef de l’État dont ils veu lent prendre la place. Les slogans dénonçant le système d’exploitation capitaliste et l’opulence d’une minorité, alors que la grande majorité croupit dans la crasse, font place à de simples appels à la démission du chef de l’État.

Mais avec l’opération « pays lock », après une semaine de blocage total de toutes les activités économiques dans les quartiers populaires, les habitants ont constaté que les politiciens de l’opposition avaient le même mépris pour eux. En les empêchant de sortir de leur quartier, par des barricades, par menaces, lapidation, voir en leur tirant dessus ; c’était les plus pauvres qui étaient « lock », privés d’eau, de nourriture, d’électricité, empêchés par la force d’aller travailler.
Aucune initiative n’a été prise par l’opposition pour calmer leurs sbires. Ni pour même donner une possibilité ou des moyens de ravitaillement.

Les meneurs n’ont pas cherché à élargir la contestation en l’étendant à l’ensemble des classes exploitées. Ils ont préféré s’appuyer sur des groupes de choc des quartiers dont les actions se dirigeaient principalement contre les classes pauvres.

Les masses populaires sont en train de se rendre compte que si elles ont raison de se révolter pour faire entendre leurs revendications, elles doivent toutefois se méfier de toute cette cohorte de politiciens parasites et de leurs hommes de main qui, tout en prétendant être les défenseurs des pauvres, sont en réalité leurs ennemis et ne cherchent qu’à accéder à la mangeoire pour continuer à ripailler et à servir les mêmes possédants.

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[¹] PHTK : Parti au pouvoir sous la bannière duquel Jovenel Moïse avait été élu. Parti haïtien tête kalé (tête chauve, surnom donné au président précédent Michel Marthelly, du fait de sa calvitie).

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