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- Lutte ouvrière n°2577
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Russie 1917 : la révolution au fil des semaines
Un espoir toujours vivant
Avec ce numéro s’achève la série d’articles s’appuyant sur des extraits de témoignages et d’écrits de révolutionnaires, pour essayer de rendre compte de l’exceptionnelle intensité de la lutte de classe qui a mené, il y a cent ans, la classe ouvrière au pouvoir en Russie.
La lutte des classes, les transformations sociales en Russie et les répercussions de la révolution d’Octobre pour les prolétaires et les exploités du monde entier ne s’arrêtèrent évidemment pas à la fin de l’année 1917. Une vague révolutionnaire prolétarienne déferla sur l’Europe et le monde. Et nous reviendrons sur ces événements à l’occasion d’articles anniversaires.
Cette époque de révolutions n’aboutit pas au renversement du capitalisme. Et, même si la bourgeoisie ne réussit pas à reprendre pied en Russie, le reflux révolutionnaire fut une des raisons de la dégénérescence bureaucratique de l’État issu de la révolution de 1917.
En novembre 1932, Trotsky, expulsé d’URSS par la bureaucratie stalinienne, devait mener son combat contre celle-ci et pour la révolution mondiale hors d’URSS, mais toujours en lien avec les militants de l’Opposition de gauche soviétique. Assigné à résidence en Norvège, il avait obtenu des autorités de ce pays de pouvoir accepter l’invitation d’étudiants social-démocrates danois lui demandant de venir faire à Copenhague une conférence pour les quinze ans de la Révolution russe.
En guise de conclusion de notre série d’articles, nous en reproduisons un extrait.
« Chaque homme avec une expérience de la vie peut éveiller dans sa mémoire l’image d’un adolescent quelconque connu de lui qui – impressionnable, lyrique, sentimental enfin – devient plus tard, d’un seul coup, sous l’action d’un fort choc moral, plus fort, mieux trempé et n’est plus à reconnaître. Dans le développement de toute une nation, la révolution accomplit des transformations morales du même genre.
L’insurrection de Février contre l’autocratie, la lutte contre la noblesse, contre la guerre impérialiste, pour la paix, pour la terre, pour l’égalité nationale, l’insurrection d’Octobre, le renversement de la bourgeoisie et des partis qui tendaient aux accords avec la bourgeoisie, trois années de guerre civile sur une ceinture de front de 8 000 kilomètres, les années de blocus, de misère, de famine et d’épidémies, les années d’édification économique tendue, les nouvelles difficultés et privations : c’est une rude, mais bonne école. Un lourd marteau détruit le verre, mais il forge l’acier. Le marteau de la révolution forge l’acier du caractère du peuple.
“Qui le croira ?” On devait déjà le croire. Peu après l’insurrection, un des généraux tsaristes, Zaleski, s’étonnait “qu’un portier ou qu’un gardien devienne d’un coup un président de tribunal ; un infirmier, directeur d’hopital ; un coiffeur, dignitaire ; un enseigne, commandant suprême ; un journalier, maire ; un serrurier, dirigeant d’entreprise”.
“Qui le croira ? » On devait déjà le croire. On ne pouvait d’ailleurs pas ne pas le croire, tandis que les enseignes battaient les généraux, le maire, autrefois journalier, brisait la résistance de la vieille bureaucratie, le lampiste mettait de l’ordre dans les transports, le serrurier, comme directeur, rétablissait l’industrie.
“Qui le croira ?” Qu’on tente seulement de ne pas le croire.
Pour expliquer la patience inhabituelle que les masses populaires de l’Union soviétique montrèrent dans les années de la révolution, nombre d’observateurs étrangers font appel par ancienne habitude à la passivité du caractère russe. Anachronisme grossier ! Les masses révolutionnaires supportèrent les privations patiemment, mais non passivement. Elles construisent de leurs propres mains un avenir meilleur et elles veulent le créer à tout prix. Que l’ennemi de classe essaie seulement d’imposer à ces masses patientes du dehors sa volonté ! Non, mieux vaut qu’il ne l’essaie pas !
Pour conclure, essayons de fixer la place de la révolution d’Octobre, non seulement dans l’histoire de la Russie, mais dans l’histoire du monde. Pendant l’année 1917, dans l’intervalle de huit mois, deux courbes historiques se rencontrèrent. La révolution de Février – cet écho attardé des grandes luttes qui se sont déroulées dans les siècles passés sur les territoires des Pays-Bas, d’Angleterre et de France, de presque toute l’Europe continentale – se lie à la série des révolutions bourgeoises. La révolution d’Octobre proclame et ouvre la domination du prolétariat. C’est le capitalisme mondial qui subit sur le territoire de la Russie sa première grande défaite. La chaîne cassa au plus faible maillon. Mais c’est la chaîne, et non seulement le maillon, qui cassa. »