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Leur société
Mladić condamné : bonne conscience des démocraties pousse-au-crime
Ratko Mladić, qui dirigea les troupes serbes en Croatie, puis en Bosnie lors de l’effondrement de la Fédération de Yougoslavie, il y a un quart de siècle, vient d’être condamné à la prison à perpétuité par le Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie (TPI).
Le TPI, qui avait entrepris de faire son procès en 2012, l’a reconnu coupable de dix chefs d’accusation, dont génocide, crimes de guerre et crimes contre l’humanité.
Ayant commencé à sévir en Croatie en 1992, alors que cette république de Yougoslavie venait de proclamer son indépendance, Mladić et son armée n’avaient cessé, jusqu’à la fin de la guerre de l’ex-Yougoslavie, de commettre des atrocités : villages brûlés avec leurs habitants, villes rasées, prisonniers envoyés dans des camps de concentration où ils mouraient de faim quand ils n’étaient pas abattus sur place. Le comble de l’horreur semble avoir été atteint à Srebrenica, une ville de l’est de la Bosnie-Herzégovine où, après que les troupes nationalistes serbes s’en furent emparée, 8 000 hommes et adolescents bosno-musulmans furent assassinés par les hommes de Mladić.
Dans ce processus de « nettoyage ethnique », chaque camp nationaliste en présence, serbe, croate, bosno-musulman, cherchait à s’emparer par la terreur, les expulsions et les exécutions de masse de territoires d’où « les autres » auraient disparu.
Mladić fut, sans aucun doute, une des pires crapules de cette période, au cours d’une guerre qui fit plus de 100 000 morts, 2,2 millions de déplacés et qui ravagea l’existence de millions d’autres citoyens de l’ex-Yougoslavie. Une guerre fratricide car les Serbes, les Croates, les Bosniaques parlaient la même langue, habitaient les mêmes villages, villes, quartiers, maisons et résidaient côte à côte dans les mêmes régions depuis des temps immémoriaux.
Mais si, précisément, Mladić fut un des rouages de cette boucherie, il ne fut pas le seul. Et les responsables des massacres ne furent d’ailleurs pas tous des militaires, des paramilitaires ou des politiciens locaux.
Car si les bureaucrates qui dirigeaient les républiques fédérées de la Yougoslavie ont cherché, au début des années 1990, à se tailler des fiefs indépendants, ou à forcer certaines régions et leurs peuples à rester sous leur coupe, cela se fit avec les encouragements plus ou moins discrets de grandes puissances qui s’étaient faites leurs protectrices. Des grandes puissances européennes considérées comme des démocraties, telles la France, l’Allemagne, la Grande-Bretagne notamment, ont soutenu telle ou telle faction, tel ou tel camp, en changeant d’ailleurs parfois au cours du bain de sang, et tout en prétendant n’y avoir aucune responsabilité. Il s’agissait de ne pas paraître éclaboussées de tout ce sang, comme dans le cas du massacre de Srebrenica où des casques bleus européens censés protéger la population civile se retirèrent de leur plein gré devant les tueurs de Mladić, qui ne faisaient pourtant pas mystère de vouloir massacrer des milliers de civils.
L’effroyable guerre de Yougoslavie a fait surgir des centaines de bouchers comme Mladić, elle leur a permis de se livrer à leurs instincts, de mettre en pratique leur idéologie nationaliste en taillant dans le corps des peuples. Mais les dirigeants occidentaux, européens en particulier, ont poussé à l’éclatement de la Yougoslavie, l’ont justifié, ont vu quel intérêt leurs banques, leurs entreprises, leurs marchands d’armes, leur diplomatie pouvaient retirer de cette sanglante course en avant vers l’enfer pour les peuples de la région. Ces dirigeants et ces États du monde dit civilisé et dit démocratique, eux aussi, portent une lourde responsabilité dans ce qu’il est advenu de cette malheureuse Yougoslavie et de ses habitants.
En faisant condamner par leur TPI cette crapule de Mladić, les mêmes, ou leurs successeurs, cherchent-ils à se donner bonne conscience ? En tout cas, ils préfèrent que l’horreur d’un Mladić soulève une émotion telle qu’elle fasse écran devant leurs propres crimes et ceux qu’ils ont couverts.