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Dans le monde
Allemagne : à la recherche d’un gouvernement
En Allemagne, le 20 novembre, après plusieurs semaines de négociations, le dirigeant du Parti libéral FDP, Christian Lindner, jeune homme ambitieux, a claqué la porte des pourparlers, dans un geste d’une spontanéité soigneusement préparée. La crise gouvernementale est ainsi apparue sans solution, mettant en question la reconduction d’Angela Merkel au poste de chancelière.
Au soir des élections législatives du 24 septembre, le Parti social-démocrate (SPD) avait enregistré, avec 20,5 % des voix, son plus mauvais score depuis 1945. Sa tête de liste M. Schulz avait rejeté toute idée de grande coalition avec la CDU, le SPD décidant de s’offrir une cure d’opposition. La CDU d’Angela Merkel, qui avait de son côté perdu 7,3 % des voix par rapport à 2013, avait entrepris des pourparlers avec trois partis minoritaires, à savoir : son allié traditionnel la CSU, très conservateur, le FDP dit libéral et le parti écologiste des Verts, situé encore relativement à gauche et avec lequel la CDU n’a jamais gouverné.
Le FDP a souvent dans le passé pu jouer le rôle d’arbitre, étant la force d’appoint pour former le gouvernement tantôt avec la CDU, tantôt avec le SPD. Cette fois, suite à une plus grande dispersion des voix entre les partis, plusieurs se retrouvant autour de 10 %, l’exercice était plus incertain.
La droitisation du FDP
Le geste du chef du FDP, spectaculaire parce qu’il n’en a rien laissé prévoir, a surpris tous les protagonistes. Ses raisons, dictées uniquement par la stratégie, n’ont rien d’idéologique. Lindner faisait le pari, soit d’obtenir plus de voix en cas de nouvelles élections, soit d’en recueillir les fruits lors des suivantes dans quatre ans, pour ne pas avoir été associé au déclin probable d’un quatrième gouvernement Merkel.
Lindner a auparavant fait mener à son parti une campagne électorale très à droite, aux accents nationalistes inédits, tempêtant autant contre l’arrivée des réfugiés que contre les « cadeaux sociaux » du gouvernement Merkel aux classes populaires, tels que le salaire minimum, et annonçant que son parti s’engagerait pour une politique qui soit enfin au service des entrepreneurs. Une campagne visiblement influencée par les succès du parti d’extrême droite AfD, dans le but de lui reprendre des électeurs.
Tandis que les partis gouvernementaux (CDU, CSU et SPD) ont massivement perdu des voix, alors que les Verts et Die Linke (La Gauche) ont très légèrement amélioré leurs résultats (autour de 9 % des suffrages exprimés), seuls l’AfD et le FDP ont nettement progressé, faisant plus que doubler leurs scores par rapport à 2013 : de 4,8 à 10,7 % pour le FDP et de 4,7 à 12,6 % pour l’AfD.
La dispersion des voix, la montée de l’extrême droite, l’usure des partis gouvernementaux sont autant d’éléments qui expliquent les difficultés à former un gouvernement. En outre, les programmes et aussi la base électorale des trois partis qui négociaient avec la CDU diffèrent largement.
Pour ne prendre que la question des réfugiés, sous l’influence de l’extrême droite le discours du FDP s’est nettement droitisé, tandis que certaines sections de la CSU bavaroise sont quasiment sur les positions de l’AfD, ne parlant plus que d’une limite maximale de réfugiés par an, qu’elles fixent autour de 200 000. C’est dans ce contexte que le droit d’asile a déjà été restreint, tandis que le regroupement familial est carrément interrompu depuis des mois. Après l’arrêt des négociations pour un gouvernement commun et lorsqu’il est devenu probable que les Verts rejoindraient l’opposition, plusieurs de leurs porte-parole ont exprimé leur soulagement et assuré vis-à-vis de leur base électorale que pas un instant, pendant les négociations, ils n’ont oublié « les pères syriens dont la famille reste coincée à Alep ». Nul ne sait s’ils auraient ou non transigé, mais cela montre au moins qu’une partie de la base des Verts, engagée dans l’aide aux réfugiés, n’était pas favorable à une participation gouvernementale avec des adversaires de l’accueil des migrants.
Une nouvelle « grande coalition » ?
Va-t-on assister maintenant à de nouvelles négociations avec les mêmes partis, ou voir un gouvernement dit minoritaire de la CDU se mettre en place, qui chercherait des alliances au cas par cas ? Ou bien reverra-t-on tout de même cette grande coalition que le SPD maintenant n’exclut plus ? Cette dernière solution semble avoir la faveur des milieux dirigeants. Mais, en huit années de grande coalition, le SPD n’a cessé de perdre du terrain, et les tensions sont grandes à l’intérieur du parti. La pression sur lui est forte, et son sens des responsabilités vis-à-vis de la bourgeoisie autant que la peur de perdre encore en cas de nouvelles élections début 2018, vont peut-être avoir raison des hésitations.
Le pouvoir de Merkel paraissait stable, beaucoup disaient voter pour elle afin d’éviter l’inconnu. Mais à son tour il est rattrapé par la crise et l’incertitude de l’avenir. Et la situation politique actuelle renforce ces sentiments dans la population, ainsi que, apparemment, le dégoût vis-à-vis de la politique. Reste que, avec ou sans gouvernement, les attaques contre les travailleurs continuent. Le géant Siemens, qui affiche 6,2 milliards d’euros de bénéfices pour 2016, vient d’annoncer plus de 7 000 licenciements, en particulier dans l’est de l’Allemagne et dans la région de la Ruhr, là où chômage et misère sont les plus importants. Quel que soit le gouvernement, les travailleurs n’auront d’autre choix, pour répondre aux mauvais coups, que de se préparer à les rendre.