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Dans le monde
Turquie : le CHP, alternative à Erdogan, un piège pour les travailleurs
L’article suivant est traduit du journal du mois d’août de nos camarades de Sinif Mücadelesi (Turquie – UCI)
Kemal Kiliçdaroglu, le dirigeant du parti social-démocrate CHP (Parti républicain du peuple) a terminé sa marche « pour la justice » par un grand meeting, début juillet à Istanbul. Puis il a exposé, contre le gouvernement d’Erdogan, un programme en dix points. « Nous invitons tous les partis, les différentes couches de la population, les ONG, tous les citoyens, à défendre ce programme et à se mobiliser pour le faire aboutir », a-t-il dit.
Ce programme va de « faire la lumière sur la tentative du coup d’État militaire du 15 juillet 2016 » jusqu’à « en finir avec le chômage, la misère, les bas salaires, les dénis du droit à s’organiser, les discriminations, la terreur, toutes les mesures antidémocratiques. »
Il y a là tout ce qui est d’actualité aujourd’hui dans la société et qui peut avoir le soutien de la majorité de la population. Mais tout cela reste générique et abstrait, sans un mot sur la façon dont cela pourrait s’appliquer. La question n’est même pas de savoir si les revendications et la politique du CHP sont justes et méritent d’être approuvées, mais comment il pourrait mettre tout cela en pratique. Et puis le CHP en tant que force politique n’inspire guère confiance, alors, avec sa « marche pour la justice » d’Ankara à Istanbul, Kiliçdaroglu a voulu montrer que, lui au moins, est un homme du CHP qui fait ce qu’il dit.
Le pouvoir de l’AKP et d’Erdogan est en train de s’user à grande vitesse, malgré tous ses efforts. Il commence à être dépassé du fait des guerres du Moyen-Orient, des problèmes avec l’Union européenne, des conflits d’intérêts avec les grandes puissances impérialistes, des problèmes avec les pays voisins et, au-delà, par ceux de l’économie. Erdogan malgré tout réussit encore à se faire accepter des patrons du fait qu’il interdit les grèves, impose les accords sur les conventions collectives, distribue des crédits et des subventions, amnistie les dettes et les impôts non payés, et surtout parce qu’il arrive à imposer son pouvoir contre les travailleurs. Mais combien de temps cela peut-il durer ?
Les patrons tirent les leçons de ce qui se passe dans les autres pays : les manifestations, les protestations de masse, l’usure des partis politiques et les scandales qui éclatent au grand jour. C’est dans ce cadre que le CHP peut arriver au gouvernement et il s’y prépare.
Le CHP a besoin de retrouver du crédit et de l’influence parmi les masses. C’est nécessaire pour qu’il puisse arriver au pouvoir et aussi pour que la bourgeoisie trouve cela utile. Le fait qu’actuellement le MHP d’extrême droite est divisé en deux, que le HDP prokurde a perdu une partie de son influence et que le Parlement se divise encore en petits partis, tout cela ne mène à aucune solution politique. Quant au CHP, les patrons ne s’y fieront que s’il a le soutien de larges masses, s’il peut avoir la majorité au Parlement et former un gouvernement fort. Si c’est le cas, le CHP pourra satisfaire les revendications des patrons et surtout lanterner les travailleurs avec de fausses promesses.
C’est pourquoi le CHP ne veut permettre à aucune autre organisation ou force politique de s’exprimer de façon indépendante, exactement comme il l’a fait pendant la « marche pour la justice ». Il veut que tout le monde le suive et ainsi être le seul parti de l’opposition. Et de fait les diverses organisations de gauche s’alignent derrière lui en expliquant qu’actuellement « on ne peut rien faire d’autre. »
Cette politique-là est un vrai piège pour les travailleurs. Le CHP n’est pas un parti exprimant leurs revendications, dans lequel les travailleurs auraient la direction, prendraient les décisions et en contrôleraient l’application. Il n’y a d’allusion aux revendications des millions de travailleurs que dans un point de son programme. Mais comment va-t-il résoudre la question du chômage et celle des salaires, quel droit les travailleurs auront-ils de s’organiser ?
Les travailleurs n’ont pas à faire confiance à un nouvel Erdogan, lequel se disait aussi « le défenseur des démunis ». Ils ne peuvent compter que sur eux-mêmes.