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Leur société
Rafle du Vél’d’Hiv : un crime d’État
En déclarant le 9 avril que la France n’était pas responsable de la rafle du Vél’d’Hiv, Marine Le Pen a d’une part proféré un mensonge éhonté, de l’autre soulevé une tempête de protestations à l’hypocrisie consommée.
« La France », si cela a un sens, cela ne peut être que l’appareil de l’État français, dans sa continuité. Or il n’y a nul besoin d’invoquer des travaux ou des recherches récentes d’historiens pour ce qui est une histoire publique. C’est bien cet État français, gouvernement et administration, police et préfecture, qui organisa les 16 et 17 juillet 1942 la rafle des Juifs résidant à Paris. L’opération, exécutée par 7 000 policiers français, grâce aux fichiers constitués depuis des années, envoya 13 000 personnes, dont un tiers d’enfants, d’abord au vélodrome d’Hiver, puis dans les camps de la mort. Une centaine seulement devait en revenir.
Paris était certes occupé par l’armée allemande. Les nazis entreprenaient la déportation et l’extermination des Juifs dans toute l’Europe. Mais le gouvernement de Pétain et l’État français allèrent au devant de leurs désirs, pour mener une opération que l’occupant allemand n’aurait accomplie qu’avec difficulté. L’extrême droite française n’avait pas besoin des nazis pour être antisémite, antiétrangère, anticommuniste et antiouvrière. Elle l’était de naissance, elle le resta lors de son passage aux affaires entre 1940 et 1944, elle l’est demeurée depuis.
Quant aux policiers, il est vrai que certains d’entre eux ont averti les personnes qu’ils allaient arrêter, leur permettant de s’enfuir. Mais, en tant que telle, la police française n’avait besoin de personne pour être dressée à traquer les étrangers, à embarquer ceux qu’on lui désignait, à pousser des enfants dans les bus, à surveiller des familles enfermées au vélodrome d’Hiver. D’ailleurs, loin de toute pression allemande, en Algérie ou aux Antilles, l’État français mit en place avec zèle la politique de Vichy, y compris les décrets antisémites.
Pour passer sans heurts de Pétain à de Gaulle à l’été 1944, l’État procéda à une opération de blanchiment. Ainsi la police parisienne « s’insurgea » opportunément alors que les chars américains approchaient de Paris. Elle fut en conséquence dédouanée des crimes perpétrés pendant l’occupation, dont la rafle, décorée pour faits de résistance et prête à continuer son office.
La continuité répressive de l’État français peut se résumer par la carrière du préfet Papon : organisateur de la déportation des Juifs de Bordeaux, il commandait la police parisienne lorsqu’elle assassina des centaines de manifestants algériens le 17 octobre 1961.
Les politiciens ayant commencé leur carrière avant ou durant la guerre, notamment de Gaulle et Mitterrand, ont toujours veillé à conserver la légende de l’innocence de « la France ». Ils poursuivaient en cela leur politique de 1944-45 visant à protéger, en commun avec tous les partis, y compris le PCF, la continuité de l’État français, de sa police, de son armée et de ses colonies. À partir de Chirac, le temps ayant passé, une version un peu plus conforme à la vérité historique a commencé à se faire jour. Les écoliers apprennent désormais que « la France » a envoyé des enfants de leur âge à la mort, sans que jamais on leur explique par quel miracle cet État criminel se serait ensuite transformé en État secourable.
S’appuyant sur cette nouvelle histoire officielle, les concurrents de Le Pen l’accusent en fait de s’en tenir à l’ancienne. Mais le fond est le même. Ceux qui postulent à la direction de l’État français d’aujourd’hui sont d’accord sur l’essentiel comme ils l’étaient alors. Leur priorité est d’assurer la continuité de l’État, de cet État qui montre son vrai visage dans des occasions comme la rafle du Vél’d’Hiv.