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Dans le monde
Russie : la corruption au pouvoir
Le 26 mars, un peu partout en Russie, des manifestants ont dénoncé les corrompus au pouvoir. À Moscou et Saint-Pétersbourg, ils étaient des dizaines de milliers, dont de nombreux lycéens et étudiants. À leur habitude, les policiers ont joué de la matraque et il y a eu un millier d’arrestations, dont celle de l’organisateur de la protestation, Andreï Navalny, condamné aussitôt à 15 jours de rétention administrative.
Le pouvoir a réprimé ce qu’il qualifie de provocation. Mais cela n’empêchera pas le président Poutine et son Premier ministre de lancer bientôt une énième campagne officielle de dénonciation… de la corruption. C’est qu’approche la présidentielle de 2018, pour laquelle Navalny a fait acte de candidature face à Poutine. Et parler de lutte contre la corruption est un rituel obligé pour tous les politiciens, même les plus corrompus, quand on évalue en milliards de dollars les pots-de-vin qu’exigent chaque année les membres de l’appareil d’État.
En Russie, il faut graisser des pattes pour tout : pour se faire hospitaliser ou s’inscrire au lycée, à l’université ; pour ne pas aller à l’armée ou obtenir un permis de conduire ; pour avoir gain de cause au tribunal, même quand on est innocent ; pour que la police ne ferme pas la boutique d’un petit commerçant, que la mairie ou un ministère autorise une entreprise à fonctionner…
Pour sûr, le slogan qui dénonçait le « parti des voyous et des voleurs » lors des manifestations anti-Poutine de 2011-2012 reflète ce que pense et subit une grande partie de la population. Comme cet autre, repris le 26 mars : « Le pouvoir doit appartenir aux millions (de gens de ce pays), pas les millions (de dollars) aux gens du pouvoir. »
Les jeunes, qui n’ont connu que la corruption en grand et l’affairisme à tous les niveaux du pouvoir sous Poutine, se mobilisent contre ce régime malgré la répression, et c’est une bonne chose. Cela ne doit pas empêcher de voir ce qu’est Navalny, lui qui prétend qu’il suffit de mettre de « bons » fonctionnaires à la place des corrompus pour que tout change, ou des dirigeants libéraux qui aident les « entrepreneurs honnêtes » au lieu de les racketter.
C’est d’abord aux membres des professions libérales, aux commerçants, aux affairistes, que Navalny s’adresse. Nombreuse à Moscou, cette petite bourgeoisie a fourni le gros des troupes de la contestation anti-Poutine en 2011-2012, et permis à Navalny d’obtenir 27 % des voix aux municipales de 2013. Comme la génération ayant vécu la chute de l’Union soviétique, celle des petits bourgeois actuels court toujours après un capitalisme qui lui permette de s’enrichir sans que les gens du pouvoir se servent avant eux.
À Saint-Pétersbourg, des manifestants criaient : « Pour la démocratie, sans les oligarques », ces protégés de la haute bureaucratie enrichis dans le pillage de l’économie jusqu’alors étatisée. Cela ne fait pas pour autant de Navalny un ennemi du système. Il a certes été sept fois condamné pour avoir défié Poutine, y gagnant l’image d’opposant numéro un. Mais il n’a cessé d’attiser les préjugés racistes, de s’afficher monarchiste, habitué de la très nationaliste Marche russe. En 2013, il a lancé une pétition contre la venue de citoyens d’autres républiques ex-soviétiques, en prétendant que « 50 % des délits graves sont commis par des migrants ».
Depuis, Navalny déclare que, si Poutine s’engage à organiser des élections non manipulées, il faudra lui accorder l’immunité. C’est dans la continuité des « voyous et des voleurs » au pouvoir. Car, fin 1999, afin de succéder à un Eltsine vomi pour sa rapacité et celle de son entourage, Poutine leur avait octroyé une totale impunité.