Corée du Sud : manifestations contre un régime aux relents de dictature07/12/20162016Journal/medias/journalnumero/images/2016/12/2523.jpg.445x577_q85_box-0%2C104%2C1383%2C1896_crop_detail.jpg

Dans le monde

Corée du Sud : manifestations contre un régime aux relents de dictature

Le 9 décembre, le Parlement sud-coréen devrait procéder à la mise en accusation de la présidente Park Geun-hye, pour corruption et trafic d’influence, ce qui devrait conduire à sa destitution.

Bien entendu, dans la mesure où la classe politique réussit à éviter toute vacance du pouvoir, cela ne pourrait être qu’une simple péripétie – bien que rarissime – au sein du petit monde politicien. D’autant que ses instigateurs semblent avoir été de hauts bonnets du propre parti de Park Geun-hye, sans doute désireux de voir cette dirigeante trop impopulaire passer la main sans faire de vague.

Mais justement, il y a eu des vagues. La révélation des trafics de la présidente a déclenché la colère de la rue. Depuis maintenant six semaines, les manifestations ont lieu chaque soir dans toutes les grandes villes. Elles s’accompagnent chaque samedi d’un point fort, dont les participants n’ont cessé d’augmenter. À en croire les chiffres des organisateurs, repris par la presse coréenne, de 30 000 le 29 octobre à Séoul, leur nombre est progressivement passé à 2 400 000 à l’échelle nationale, dont la moitié à Séoul, le 3 décembre.

Ce sont les plus grandes mobilisations de rue qu’ait connues le pays depuis celles qui avaient accompagné la chute de la dictature en 1987. Sans doute le contexte n’est-il pas le même, puisque la police antiémeute s’est à peine montrée et l’armée pas du tout, permettant aux manifestants de défiler en toute quiétude. Cela étant, ces chiffres témoignent de l’indignation de toute une partie de la population face à la corruption d’un régime avec lequel elle avait déjà bien des comptes à régler.

L’héritage de la dictature

En effet ce scandale est venu rappeler les liens étroits de Park Geun-hye avec cette ère de la dictature qu’elle-même et toute la classe politique prétendaient révolue pour toujours. Il trouve son origine dans le rôle joué par une conseillère occulte de la présidente, Choi Soon-sil, dans des opérations visant à soutirer des fonds au profit d’officines qui lui étaient liées. Or non seulement Park Geun-hye se trouve être la fille du général Park chung-hee qui fut, de 1961 à 1979, l’un des dictateurs les plus brutaux qu’ait connus le pays, mais Choi Soon-sil est la fille de Choi Tae-min, qui fut à la fois gourou du général Park et chef d’une secte mystique, l’Église de la vie éternelle.

À cela vient s’ajouter le mécontentement engendré par les méthodes dictatoriales et répressives du régime. Ainsi, la réécriture de nouveaux manuels d’histoire pour les écoles et lycées, pour les débarrasser de tout ce qu’ils contenaient d’« anti-patriotique », a causé un scandale dans la petite bourgeoisie qui, de surcroît, a de plus en plus de mal à trouver des emplois à des salaires décents pour ses rejetons, aussi diplômés soient-ils.

Quant à la classe ouvrière, elle a encore plus de raisons de mécontentement. La précarité, qu’elle connaît depuis longtemps, masque de plus en plus mal la réalité d’un chômage endémique. L’absence de couverture sociale pour les travailleurs âgés et la faiblesse générale des salaires font que, dans un pays où l’âge de la retraite est à 60 ans sur le papier, l’âge moyen de départ effectif dépasse les 70 ans ! Et pour parachever le tout, au début de l’année, de nouvelles lois antiouvrières sont venues faciliter encore les licenciements et offrir aux patrons de nouvelles possibilités pour baisser les salaires.

Participation des travailleurs

Le mouvement de manifestations et de grèves qui s’est développé contre ces attaques, à partir d’avril dernier, s’est heurté à une répression brutale. En juin, treize dirigeants de la centrale syndicale KCTU, qui en était le principal moteur, ont été condamnés à des peines de prison, dont son président, Han Sang-Gyun, condamné à cinq ans ferme. Après quoi le mouvement a marqué le pas, ne reprenant qu’à l’automne, de façon partielle et pour quelques semaines, dans les chemins de fer et le métro de Séoul.

Du coup, avec les manifestations contre la présidente, la direction de la KCTU a cherché à reprendre l’initiative avec ce qu’elle a appelé une « grève générale », le 30 novembre : en fait, elle appelait les travailleurs à prendre leur journée pour se joindre aux manifestations avec des placards contre les lois antiouvrières, évitant ainsi l’accusation d’organiser une grève illégale. Selon la KCTU, 220 000 travailleurs auraient répondu à son appel et participé collectivement aux manifestations du jour, tandis que des dizaines de milliers de jeunes désertaient universités et lycées pour les rejoindre.

Tel qu’il s’est développé, sous la direction des partis d’opposition et de la multitude d’associations citoyennes et d’ONG qui maillent la société coréenne, ce mouvement de protestation n’a rien de particulièrement radical. Ses participants expriment avant tout leur refus d’un retour à la dictature et leur aspiration à une démocratie propre. C’est évidemment une chimère car, s’il y a une chose qu’une société basée sur la propriété capitaliste est bien incapable de produire, c’est un système politique propre !

Dans les rangs des manifestants, une multitude de pancartes appellent cependant à la mise en jugement tant de la présidente que des patrons des chaebols, ces trusts familiaux géants qui contrôlent toute la vie économique et politique du pays. Débarrasser la société, non seulement d’une présidente corrompue mais aussi de la dictature des chaebols, cela doit devenir un objectif pour la classe ouvrière.

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