Hongrie octobre-novembre 1956 : la révolution des conseils ouvriers09/11/20162016Journal/medias/journalnumero/images/2016/11/2519.jpg.445x577_q85_box-0%2C104%2C1383%2C1896_crop_detail.jpg

Il y a 60 ans

Hongrie octobre-novembre 1956 : la révolution des conseils ouvriers

En février 1956, le XXe congrès du Parti communiste de l’URSS, au cours duquel son dirigeant Khrouchtchev se livra à une dénonciation des crimes de Staline, provoqua une onde de choc. Elle se répercuta dans les pays de l’Est, placés depuis la fin de la Deuxième Guerre mondiale sous le contrôle de la bureaucratie de l’URSS et de son armée. Des manifestations, des grèves, des émeutes éclatèrent en Tchécoslovaquie, en Allemagne de l’Est, en Pologne. En Hongrie, elles débouchèrent en octobre 1956 sur une véritable révolution.

Comme dans les autres pays qualifiés de « démocraties populaires », l’appareil d’État mis en place sous l’égide de Staline faisait régner sur la population hongroise, et en particulier sur la classe ouvrière, un régime de terreur, grâce à une police politique, l’AVH, qui prenait ses ordres directement à Moscou. Dans les entreprises, tout acte considéré comme nuisible à la bonne marche de la production était considéré comme un sabotage et puni comme tel. La grève était interdite sous peine de prison et ses organisateurs passibles de mort.

Après la mort de Staline en mars 1953 et l’instauration d’une direction collégiale à Moscou, il y eut un flottement à la direction du parti et de l’État hongrois. L’étau de la dictature absolue commença à se desserrer et un courant d’opposition se développa au sein du parti, demandant le retrait des troupes russes et la démocratisation du pouvoir.

De la révolte à la révolution

Sur proposition du bureau politique de l’URSS, le 13 juin 1953, Mátyás Rákosi, le dictateur placé à la tête de l’État par les autorités russes depuis 1945, fut remplacé à la tête du gouvernement par Imre Nagy. Celui-ci prit une série de mesures de libéralisation, comme le ralentissement de l’industrialisation forcenée ou la suppression des camps d’internement, qui firent de lui au sein du parti le symbole des opposants à la mise sous tutelle du pays par l’URSS. Pour cette raison, en avril 1955, il fut démissionné et remplacé par Rakosi. En février 1956, celui-ci fut remplacé à son tour, mais par un autre fidèle de Moscou, Ernő Gerő.

Les opposants étaient soutenus par la quasi-totalité des intellectuels, qui réclamaient maintenant la liberté d’expression, de presse et d’opinion. Ceux-ci firent du cercle Petöfi leur tribune. Créé à la fin de 1955 par une organisation de jeunesse communiste, ses réunions attirèrent en 1956 de plus en plus de monde.

Le 22 octobre, les Hongrois apprenaient que les jours précédents les ouvriers et les étudiants de Varsovie avaient obtenu le remplacement au pouvoir de Rokossovsky, l’homme de Moscou, par Gomulka, encore en prison deux mois auparavant. La nouvelle suscita l’enthousiasme, montrant qu’il était possible de faire reculer les bureaucrates soviétiques.

L’effervescence gagna les milieux étudiants de la capitale, qui appelèrent pour le 23 octobre à une manifestation de solidarité avec la Pologne. Elle rassembla des dizaines de milliers d’étudiants, rejoints par des dizaines de milliers d’ouvriers criant : « Imre Nagy au pouvoir ! », « Russes à la porte ! », mais aussi « Grève générale ! » En réponse à des tirs venant d’éléments de la police secrète, les manifestants commencèrent à s’armer.

Dans la nuit du 23 au 24 octobre, ce qui était en train de devenir une révolution se propagea dans la ville.

En l’espace de quelques heures, l’armée et la police firent cause commune avec les manifestants. Les casernes s’ouvraient, les soldats donnaient leurs armes aux insurgés ou passaient à l’insurrection. Les membres de l’AVH étaient traqués et ceux qui étaient reconnus lynchés par les manifestants.

Le comité central du parti décida alors d’appeler Imre Nagy à former un gouvernement, tout en demandant l’intervention des troupes soviétiques et en décrétant la loi martiale. Dans la nuit du 24 octobre, les premières unités blindées de l’armée russe investirent la capitale.

Les combats entre soldats russes et insurgés allaient faire rage pendant une semaine à Budapest, tandis que l’insurrection gagnait tout le pays. Une partie des soldats soviétiques eux-mêmes commençaient à être gagnés à la cause des insurgés et ne se battaient plus vraiment.

Le pouvoir des conseils ouvriers

Le gouvernement d’Imre Nagy appela en vain à l’arrêt des affrontements. Un peu partout, des comités révolutionnaires se formaient pour organiser le combat. Les usines étaient arrêtées et les travailleurs y élisaient leurs représentants. Les conseils ouvriers se multipliaient, prenant en main la gestion des usines, organisant des milices ouvrières pour garder l’usine et participer aux combats de rue de leur quartier.

Ces conseils réclamaient tous le droit de grève, la liberté syndicale, la reconnaissance des conseils et le retrait de l’armée russe, principal soutien du régime. Les conseils ouvriers ne mettaient pas en cause la légitimité du gouvernement Nagy, mais n’en représentaient pas moins de fait la possibilité d’un autre pouvoir, d’un pouvoir ouvrier.

Dans la plupart des villes industrielles de province, les conseils ouvriers en arrivèrent très rapidement à se fédérer. Leur autorité s’étendit souvent à toute la région, où ils remplacèrent l’administration en débandade, assurant le fonctionnement des services publics et le ravitaillement.

Le 31 octobre, l’URSS annonça qu’elle acceptait de retirer ses troupes. L’insurrection semblait avoir vaincu. Les conseils d’usine de la capitale décidèrent la fin de la grève et appelèrent à la reprise du travail pour le lundi 5 novembre. Mais ce n’était qu’un recul provisoire des bureaucrates de Moscou, qui n’avaient pas renoncé à écraser la révolution.

Le gouvernement de Nagy ne parvenait pas à canaliser l’insurrection populaire, qui risquait de se transformer en révolution prolétarienne. D’autre part, les forces israéliennes, françaises et britanniques intervenaient au même moment contre l’Égypte de Nasser : c’était, pour les dirigeants russes, l’assurance que les puissances occidentales, occupées dans leur propre sphère d’influence, n’interviendraient pas en Hongrie.

Le dimanche 4 novembre au petit matin, 200 000 soldats de l’armée soviétique, avec 2 000 chars, appuyés par l’aviation, envahirent donc la capitale et les principales villes industrielles. Nagy fut renversé et remplacé par Janos Kadar, revenu de Moscou avec les tanks russes.

La classe ouvrière n’abandonna cependant pas le combat. Les ouvriers se retranchèrent dans les usines et la grève générale reprit le 5 novembre. Conscients que le combat se menait à l’échelle de la classe ouvrière tout entière, les conseils des usines de Budapest se regroupèrent le 14 novembre pour constituer le Conseil central ouvrier de Budapest. Porte-parole unique de la classe ouvrière, face au gouvernement fantoche imposé par les Russes, il constituait de fait le seul pouvoir effectif, reconnu par toute la classe ouvrière et même par la quasi-totalité de la population.

Vers le 15 novembre, la révolution était militairement vaincue. On comptait plusieurs dizaines de milliers de victimes. Mais la classe ouvrière résistait encore.

Le gouvernement de Kadar, appuyé par Moscou, attendit encore plusieurs semaines pour oser interdire les conseils ouvriers, dont les membres furent traqués et arrêtés.

La production ne reprit complètement que vers le début de février 1957. Quelques maquis survécurent encore. Mais la révolution était cette fois bien écrasée par les chars de la bureaucratie qui avait usurpé une autre révolution, celle d’octobre 1917 en Russie.

Malgré les critiques de Khrouchtchev sur la dictature de Staline, malgré les prétentions de certains bureaucrates à restaurer un « socialisme à visage humain », la bureaucratie russe montrait qu’elle craignait plus que tout une révolution ouvrière et n’hésitait pas à l’écraser dans le sang.

Partager