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- Lutte ouvrière n°2516
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il y a 80 ans
Septembre-octobre 1936 : les travailleurs face à la contre-offensive patronale
Trois mois après la grève générale de juin 1936, une vague de grèves avec occupation d’usines se développa de nouveau en septembre, en particulier dans le Nord. Juin 1936 avait permis de conquérir de nouveaux droits comme les 40 heures, les conventions collectives, d’importantes augmentations de salaires et deux semaines de congés payés, mais déjà le patronat cherchait à remettre cela en cause.
Ceux qui, au sein de la gauche réformiste, ont commémoré récemment le 80e anniversaire de l’accession au pouvoir du gouvernement de Front populaire, ont en général occulté le fait que toutes ces mesures sociales ne figuraient pas à son programme. Aux côtés des socialistes et des communistes, cette coalition du Front populaire comprenait le Parti radical, une organisation qui était l’un des piliers de toutes les majorités gouvernementales sous la Troisième République. Toute mesure en faveur des travailleurs qui aurait pu effrayer les notables radicaux avait été écartée du programme électoral adopté en juillet 1935.
Le patronat à l’offensive
Après la victoire du Front populaire aux élections législatives d’avril-mai 1936, ce ne fut pas le nouveau chef du gouvernement, le socialiste Léon Blum, qui prit l’initiative de réunir les représentants des syndicats et du patronat. Ce furent des dirigeants du CGPF, l’ancêtre du Medef, qui exigèrent l’organisation d’une telle rencontre car ils étaient terrorisés par l’ampleur de la mobilisation ouvrière, par la forme inédite qu’elle prenait avec les occupations d’usines. En signant les accords de Matignon, le 7 juin, les dirigeants patronaux semblèrent faire des concessions importantes mais, en obtenant la fin des grèves et l’évacuation des usines, ils parvinrent à sauvegarder l’essentiel : leur pouvoir dans les entreprises.
Beaucoup de travailleurs avaient pu partir en vacances pour la première fois en cet été 1936 avec le sentiment d’avoir remporté une victoire. Mais à leur retour, ils retrouvèrent face à eux un patronat qui cherchait partout à reprendre l’avantage. Très rapidement, des grèves éclatèrent à nouveau, se généralisant au niveau de branches entières d’une même région, s’accompagnant d’occupations d’usines. Au total, il y en eut 699 (dont 310 avec occupation) et plus de 120 000 grévistes pour le seul mois de septembre.
Dans le Nord, le 9 septembre, contre le refus du patronat du textile d’augmenter les salaires, 33 000 ouvriers et ouvrières arrêtèrent le travail. Plus d’une centaine d’usines se retrouvèrent à nouveau occupées. La lettre adressée le 17 septembre à Léon Blum par le président du comité central du textile de Lille, Pierre Thiriez, illustrait l’état d’esprit du patronat :
« Les industriels textiles de Lille ne veulent plus que leurs usines soient occupées. Ils ne veulent plus de séquestration, de laissez-passer accordés aux patrons par les délégués d’usine, de menaces adressées au personnel qui ne partage pas la manière de voir de la CGT… Ils ne veulent plus de piquets de grève installés jour et nuit au domicile de leur directeur… En un mot, ils ne veulent pas accepter l’instauration de Soviets dans leurs établissements. »
Le Front populaire contre les grévistes
Devant la reprise des grèves, Blum déclara : « Je dois affirmer (…) que des formes de lutte ouvrière comme l’occupation des usines ne doivent pas s’installer comme une habitude. Je veux dire qu’elles ne doivent pas durer, et qu’elles ne dureront pas. »
Le 3 octobre, les grévistes de plus de trente hôtels ou cafés furent expulsés par la police. Alors qu’un mouvement de grève se répandait à Paris dans plusieurs usines de chocolaterie pour protester contre l’interruption brutale par le patronat des négociations qui duraient depuis deux mois sur le contrat collectif, 250 policiers évacuèrent brutalement l’une d’entre elles.
Bien souvent, le gouvernement n’eut pas besoin d’utiliser la force pour mettre fin aux conflits qui éclataient et put compter sur l’intervention des dirigeants de la CGT et du Parti communiste. Le numéro deux de la CGT, le communiste Benoît Frachon, déclara ainsi en octobre 1936, en s’adressant aux militants réunis en formation à l’école du syndicat parisien des métaux : « Nous savons que les efforts des militants syndicalistes ont empêché que de nombreux différends se transforment en grèves. Nous vous demandons de faire plus encore. (…) Nous vous le disons franchement : dans le présent, votre intérêt bien compris réclame qu’il n’y ait plus d’occupation d’usines. »
Avec l’appui des dirigeants syndicaux, le gouvernement fit adopter, fin décembre 1936, une loi rendant obligatoire, en cas de conflit collectif avec un employeur, le recours à un arbitrage organisé par les autorités et conditionné par la « neutralisation » des usines, c’est-à-dire leur évacuation par les grévistes.
Cette législation visait à empêcher que puisse recommencer un mouvement comparable à celui de juin. Les grèves furent nombreuses mais elles restèrent morcelées et ne parvinrent pas à mettre en échec la contre-offensive patronale.
La démoralisation gagne les travailleurs
Après s’être refusé à soutenir les républicains espagnols contre Franco, après avoir multiplié les reculs face à ce qu’il nomma le mur de l’argent, Blum annonça en février 1937 « une pause » dans les réformes sociales. Le désarroi parmi les travailleurs s’accrut encore quand, le 16 mars 1937, la police tira sur des manifestants réunis à Clichy pour protester contre la tenue d’un meeting d’extrême droite, faisant six morts et 200 blessés.
Blum démissionna finalement en juin 1937, cédant la place à un gouvernement dirigé par un radical. Prônant de plus en plus ouvertement une politique antiouvrière, le Parti radical finit par quitter la coalition de Front populaire en septembre 1938. Invoquant « l’intérêt de la Défense nationale », son principal dirigeant, Daladier, devenu chef du gouvernement, adopta le 12 novembre 1938 une série de décrets-lois prévoyant en particulier la fin des 40 heures.
La grève du 30 novembre 1938
Lorsqu’en réponse la CGT appela à une grève générale le 30 novembre 1938, ce fut en insistant sur le fait qu’elle ne devait durer que 24 heures, qu’il ne devait y avoir ni cortèges, ni occupations des lieux de travail. Le gouvernement, lui, mobilisa tout l’arsenal répressif à sa disposition : ordres de réquisition de certaines catégories de travailleurs comme les cheminots ; déploiement de la police et de troupes dans les rues.
Il y eut pourtant près de deux millions de travailleurs pour suivre le mot d’ordre de grève ce jour-là, ce qui montrait plus de deux ans après juin 1936 que la combativité ouvrière était encore loin d’être éteinte. Pour le patronat, ce fut l’occasion de prendre une revanche décisive : plus de 800 000 travailleurs furent lock-outés à la suite du 30 novembre et au moins 20 000 d’entre eux ne furent pas réembauchés. Dans certains départements, le mouvement syndical fut complètement décapité.
Après avoir été trahis et démoralisés, les travailleurs allaient se retrouver moins d’un an plus tard mobilisés sous l’uniforme avec le début de la Deuxième Guerre mondiale. Les dirigeants socialistes et communistes les avaient trompés en leur disant d’abandonner les grèves pour s’en remettre à l’action du gouvernement de Front populaire. Dans cette période de crise profonde du capitalisme, les bourgeoisies des pays impérialistes, de l’Allemagne et de l’Italie fasciste aux puissances dites démocratiques, se préparaient à une nouvelle guerre pour le partage du monde.
Seule une révolution ouvrière aurait pu alors arrêter cette marche à la guerre. La montée ouvrière de 1936 en France, mais aussi la révolution espagnole, les grèves de masse aux États-Unis et dans bien d’autres pays, étaient le signe que la classe ouvrière pouvait s’engager dans cette voie, à condition de disposer d’une direction révolutionnaire ferme et résolue. Quatre-vingts ans après, ces leçons politiques restent valables.