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Colombie : un cessez-le-feu durable ?
Lundi 26 septembre, l’accord de cessez-le feu entre le gouvernement colombien et la guérilla des FARC (Forces armées révolutionnaires de Colombie), conclu en août, a été officiellement ratifié par les deux partis. Il est censé mettre fin à cinquante années d’affrontement entre cette guérilla et l’État colombien.
Seul l’ex-président de droite Uribe, connu pour sa complaisance pour les paramilitaires voire les narco-trafiquants, proteste contre cette ratification à qui il reproche de faire la part trop belle aux anciens guérilleros, comme lui-même l’avait fait pour les paramilitaires, quand ceux-ci avaient été désarmés.
La Colombie a une longue tradition de violence. À plusieurs reprises, au 19e et au 20e siècle, et encore aujourd’hui, les classes possédantes ont préféré noyer dans le sang les mouvements revendicatifs des classes populaires plutôt que de satisfaire leurs revendications, faisant même abattre des politiciens dont ils craignaient l’action, à tort ou à raison.
Le fondateur des FARC, Marulanda, mort en mars 2008, était un ancien membre des milices paysannes réprimées par les mercenaires des grands propriétaires entre 1946 et 1957, une période qu’on a appelé « la Violence », où 300 000 personnes furent massacrées pour que les propriétaires terriens continuent de prospérer. Cette période avait été marquée par l’assassinat en 1948 de Gaitan, avocat proche des milieux syndicalistes et homme politique qui aurait pu être une alternative aux représentants politiques des grands propriétaires, ce qui déclencha une guerre civile, notamment dans les campagnes.
Les militants comme Marulanda, et ceux qu’ils entraînaient, entendaient résister aux expulsions de paysans par des grands propriétaires qui voulaient élargir la surface de leurs terres. Les paysans insurgés maintinrent ainsi quelques zones indépendantes. L’armée ne parvenant pas à les écraser, les hommes de main des possédants, les paramilitaires, vinrent en renfort. Officiellement, la période dite de « la Violence » fut close en 1964.
Entre 1964 et 1966, Marulanda et ses compagnons mirent sur pied les FARC. La plupart des journalistes les présentent comme des « marxistes », mais leur objectif n’était pas que la classe ouvrière prenne la direction d’un grand soulèvement populaire. Leur programme se bornait à une réforme agraire. Là où ils s’implantèrent, ils offrirent une protection aux paysans chassés de leurs terres par les milices des propriétaires terriens.
La bourgeoisie terrienne colombienne s’était historiquement enrichie avec le café mais, avec la chute des cours de celui-ci, la cocaïne devint attractive. Dans les années 1970, les FARC finirent elles aussi par s’accommoder du développement croissant de la culture de la coca, que les narco-trafiquants, alliés des grands propriétaires, transformaient en cocaïne. Les FARC commencèrent par prélever un impôt sur les paysans qui pratiquaient cette culture dans les régions sous leur contrôle, en échange de différents services publics tels que la construction de routes ou l’assainissement de l’eau, réalisant ainsi dans ces zones ce que l’État officiel était incapable de faire. Mais, au fil des ans, les FARC devinrent aussi un intermédiaire dans le trafic de la drogue, sans toutefois en être les principaux bénéficiaires.
Les possédants ont continué de chasser des paysans de leurs terres, et cette politique a alimenté le recrutement des FARC. Des paysans expulsés se sont mis sous leur protection. Des jeunes sans travail ont rejoint leurs rangs. Pendant des dizaines d’années, trois bandes armées se sont ainsi affrontées, les FARC, l’armée et les paramilitaires. En 2008, un rapport de plusieurs ONG souligna que les trois quarts de ces violences étaient imputables à l’État et à son bras armé occulte, les paramilitaires, créés par les possédants avec la bénédiction de Washington et le soutien pratique de l’armée israélienne, qui en forma les cadres et les équipa. Pour la seule période 2002-2007, période où Uribe désignait les seules FARC comme fauteurs de violence, seul le quart des crimes étaient imputables à la guérilla contre 58,1 % aux paramilitaires et 16,5 % à la force armée officielle. Les paramilitaires assassinaient sans vergogne les paysans ne quittant pas assez vite leurs terres, mais 2 600 militants ouvriers syndicalistes en furent aussi victimes en vingt ans. Ce conflit aura fait 260 000 morts et déplacé huit millions de personnes.
Ces dernières années, la guérilla s’était affaiblie. Elle a connu des revers et ses effectifs ont diminué. Certains guérilleros ont fait défection, parfois par réaction contre ce qu’ils estimaient être une trahison de leurs idéaux, tandis que d’autres, plus opportunistes, rejoignaient les paramilitaires.
Il reste une inconnue : ce cessez-le-feu sera-t-il durable ? Les FARC se transformeront-elles comme elles le souhaitent en un parti légal cherchant à avoir des élus ? Ces questions ne sont pas rhétoriques. Il y a déjà eu un cessez-le-feu il y a trente ans. Les FARC avaient alors participé à une « Union patriotique » avec le PC et s’étaient présentées à des scrutins locaux, avec succès. Ce retour à la légalité, sans lutte armée, avait alors déclenché des représailles des paramilitaires qui avaient exécuté trois mille cadres et militants, ne laissant aux FARC d’autre choix que de retourner dans la jungle pour survivre. Rien ne dit que l’histoire ne recommencera pas.