Ouzbékistan : la mort d’un despote14/09/20162016Journal/medias/journalnumero/images/2016/09/2511.jpg.445x577_q85_box-0%2C104%2C1383%2C1896_crop_detail.jpg

Dans le monde

Ouzbékistan : la mort d’un despote

Islam Karimov vient de décéder, après trois décennies à la tête de l’Ouzbékistan, un pays d’Asie centrale de 32 millions d’habitants qui est, comme ses voisins ex-soviétiques, une dictature policière où le clan au pouvoir a mis la main sur les principales richesses.

L’histoire de la région a été profondément marquée par la Révolution russe. Lors de l’arrivée de l’Armée rouge en 1920, ce qui allait devenir l’Ouzbékistan était une colonie récente de l’Empire tsariste, avec des villes au passé prestigieux, Samarcande et Boukhara situées sur la route de la soie, mais une société vivant à l’heure du Moyen Âge.

L’éclatement de l’URSS, une catastrophe

L’Ouzbékistan a été créé comme une république de l’Union soviétique. C’est dans le cadre de cet État que la région a été industrialisée, les populations alphabétisées, que les femmes, jusqu’alors esclaves domestiques, ont commencé à pouvoir échapper au carcan des traditions patriarcales et religieuses. Dans les années 1960, tout en restant relativement pauvre, l’Ouzbékistan avait atteint un niveau de développement à peine inférieur à la moyenne de l’URSS, mais en tout état de cause bien supérieur, sur un plan économique, social et culturel, à ce que subissaient les peuples des pays voisins extérieurs à l’URSS.

La fin de l’URSS en 1991 a été une catastrophe pour ses populations, plus encore pour celles de sa périphérie. L’Asie centrale soviétique, mosaïque de peuples entremêlés depuis des siècles, a éclaté en cinq États : Ouzbékistan, Kazakhstan, Turkménistan, Kirghizistan, Tadjikistan. Des barrières se sont dressées à leurs frontières, qui ont coupé entre États différents des mêmes populations et créé partout des minorités nationales que les clans au pouvoir ont désignées à « leur » peuple comme boucs émissaires pour tous ses malheurs.

Toute la production de la région avait été conçue et développée de façon planifiée, à l’échelle de ce pays immense qu’était l’URSS. Les régions montagneuses voisines de ­l’Ouzbékistan l’alimentaient ainsi en hydroélectricité lors de la fonte des neiges, puis recevaient l’électricité produite par les centrales à gaz ­d’Ouzbékistan durant la saison sèche. Du jour au lendemain, le système électrique et toute une partie de l’économie, intégrée à celle de l’URSS, se sont effondrés.

Le pillage des bureaucrates mafieux

Quant aux ressources agricoles, minières et industrielles de la région, elles ont été pillées par les bureaucrates, bazardées aux plus rapaces. Les clans dirigeants ont accaparé les plus profitables, laissant à l’abandon beaucoup d’autres qui ne le leur semblaient pas assez, même si elles étaient indispensables à la vie de la population.

Ces clans, tel celui de Karimov, se sont enrichis prodigieusement aux dépens de ce qui avait été édifié du temps de l’URSS, mais aussi en prenant la tête de trafics d’armes et surtout de drogue, le tout avec la bénédiction des instances religieuses. Intéressées à ces trafics, elles ont effectué un retour en force dans la vie du pays et de ses habitants, avec l’appui des sommets de l’État. Parfois cela avait commencé avant même la disparition de l’URSS.

Karimov, chef du Parti communiste ouzbek depuis 1988, avait marqué sa place de parrain des mafias bureaucratiques régionales en se faisant élire président. Il a alors entraîné le pays dans une fuite en avant nationaliste, réécrivant les manuels d’histoire, faisant remplacer les statues de Lénine par celles de Tamerlan, qui fonda au 14e siècle un vaste empire centré sur l’actuel Ouzbékistan.

Karimov a renforcé sa dictature, en mettant la population sous surveillance permanente, en s’appuyant sur la menace islamiste, qu’il avait contribué à susciter, en jouant sur la peur d’une guerre civile entre les nationalités qui composent le pays. Les explosions de mécontentement ont été noyées dans le sang, comme en 2005 à Andijan, où des centaines de civils ont été massacrés.

Face à la crise, aux fermetures d’usines, au démantèlement des kolkhozes, aux salaires non versés, le seul choix pour les jeunes a été durant des années de partir travailler sur les chantiers en Russie. Mais aujourd’hui, du fait du ralentissement de l’économie russe, ce n’est plus guère possible et, quitte à se retrouver sans emploi, ils reviennent ou restent au pays.

Les grandes puissances et leurs milieux d’affaires regardent le pays avec convoitise. Des multinationales du textile achètent à vil prix le coton ouzbek pour leurs usines du Bangladesh ou de Chine. Mais le pays regorge aussi d’or, d’uranium et de gaz, et est situé sur un carrefour commercial stratégique. Sans doute ces sociétés trouveront-elles des arrangements avec le successeur de Karimov, quitte à lui laisser sa part.

La mort de Karimov ne signifie en rien la fin de la dictature. Les services de sécurité sont toujours bien en place, protégeant les prédateurs qui organisent le pillage du pays.

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