Autriche : succès de la démagogie d’extrême droite25/05/20162016Journal/medias/journalnumero/images/2016/05/2495.jpg.445x577_q85_box-0%2C104%2C1383%2C1896_crop_detail.jpg

Dans le monde

Autriche : succès de la démagogie d’extrême droite

L’écologiste Alexander Van der Bellen a remporté de justesse, le 22 mai, le second tour de l’élection présidentielle autrichienne. Il obtient 50,35 % des voix et devance de seulement 31 000 voix Norbert Hofer, le candidat du parti d’extrême droite FPÖ, qui était arrivé largement en tête lors du premier tour avec 35,1 % des suffrages.

Le candidat des Verts a bénéficié d’un regain de participation – 72,7 % contre 68,5 % il y a un mois – et du vote de tous ceux qui voulaient faire barrage à l’extrême droite. C’est particulièrement le cas dans les districts électoraux des neuf capitales de länder, qui ont tous placé Van der Bellen en tête, tandis que Hofer l’a emporté dans la majorité des petites villes et des communes rurales.

La peur des migrants

Il n’en reste pas moins que le score de l’extrême droite représente l’événement majeur de ce scrutin, d’autant que le président sortant est membre du Parti social-démocrate SPÖ, et que ce parti a été éliminé dès le premier tour. Ce résultat s’inscrit dans un contexte général de montée, à la faveur de la crise, des idées réactionnaires et xénophobes dans toute l’Europe. Mais l’arrivée massive des réfugiés en 2015 a aussi représenté une aubaine pour le FPÖ.

L’immense majorité du 1,1 million de migrants qui ont rejoint l’Allemagne a transité par l’Autriche et 90 000 d’entre eux ont fait une demande d’asile dans le pays. Après l’émoi suscité par la découverte, en août 2015, d’un camion frigorifique abandonné sur un parking d’autoroute en Styrie avec 70 migrants décédés, de nombreux Autrichiens se sont mobilisés pour accueillir des migrants et les aider. Mais cela a aussi engendré bien des craintes, en particulier dans la classe ouvrière, où beaucoup ont peur que cette situation contribue à tirer les salaires vers le bas. À cela s’ajoute en effet la présence importante de migrants temporaires hongrois, roumains, croates, qui travaillent souvent au noir ou n’ont d’autre choix que d’accepter des salaires de misère. Car si l’Autriche est moins touchée par la crise que bien d’autres pays européens, les licenciements s’y multiplient, le chômage se développe et on recense environ 500 000 chômeurs pour 8,7 millions d’habitants.

En Autriche, la dernière grève générale a été brisée par la social-démocratie en 1950 et, depuis, le niveau des grèves est resté très bas, au point que certains travailleurs pensent qu’elles sont interdites. Il n’y a donc guère de tradition de lutte vivante et cela accentue le sentiment d’un possible déclassement, qui prédomine dans bien des milieux populaires. D’autre part la presse populaire a fait ses gros titres depuis des mois sur les agressions sexuelles contre des femmes et des viols perpétrés par des migrants… alors que la même presse ne parle que très peu de faits similaires lorsqu’ils sont commis par des Autrichiens.

Tout cela a permis au FPÖ de jouer sur la peur, en reprenant ses thèmes habituels nationalistes et anti-immigrés, mais aussi en se permettant une démagogie sociale à bon compte et en se présentant comme le parti de l’homme de la rue. En octobre dernier, lors des municipales à Vienne, ses affiches présentaient le vote en sa faveur comme une nouvelle « révolution d’Octobre » !

Volte-face des sociaux-démocrates

À cela s’est encore ajoutée la politique du gouvernement de coalition SPÖ-ÖVP qui, après avoir tenu des propos humanitaires lorsque les premiers réfugiés sont arrivés, a opéré à partir de janvier une volte-face spectaculaire : il a fixé un seuil maximum de migrants en 2016, fait poser des barbelés à certains postes-frontière avec la Slovénie, menacé d’ériger des barrières au col du Brenner, qui relie l’Autriche à l’Italie, et une restriction du droit d’asile est en discussion. En reprenant ainsi les thèmes du FPÖ, il a renforcé celui-ci.

Cela fait d’ailleurs longtemps que la social-démocratie a contribué à rendre le FPÖ acceptable : elle a gouverné avec lui entre 1983 et 1986 et, depuis 2015, elle dirige avec lui la région du Burgenland. Aujourd’hui, plusieurs dirigeants du SPÖ, dont l’ancien chancelier Franz Vranitzky et le président de la confédération syndicale ÖGB Erich Foglar, se sont prononcés… pour une collaboration avec le parti d’extrême droite au niveau fédéral après les prochaines législatives en 2018.

Le succès du FPÖ, en particulier dans les milieux populaires, souligne la perte profonde de repères dans la classe ouvrière. Le SPÖ, parti de gouvernement de la bourgeoisie, n’a évidemment rien à voir avec le parti représentant les travailleurs et défendant des perspectives de classe, qui serait nécessaire. Les travailleurs d’Autriche, s’ils ne veulent pas faire les frais des attaques de la bourgeoisie et des prochains gouvernants du pays, quels qu’ils soient, devront sortir des illusions du repli sur soi. Pas plus que ceux des autres pays, ils ne pourront faire l’économie de la lutte pour changer cette société, seule véritable réponse à la sinistre démagogie de l’extrême droite.

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