Turquie : Erdogan fait donner sa police09/03/20162016Journal/medias/journalnumero/images/2016/03/2484.jpg.445x577_q85_box-0%2C104%2C1383%2C1896_crop_detail.jpg

Dans le monde

Turquie : Erdogan fait donner sa police

Samedi 5 mars, devant le siège du plus grand quotidien de Turquie, Zaman, qui tire à plus de 600 000 exemplaires, on a assisté à des scènes exceptionnelles. Les forces de la police spéciale ont chargé, à grand renfort de gaz lacrymogènes, de canons à eau et de balles en caoutchouc, les centaines de personnes venues défendre ce journal qui venait d’être mis sous tutelle.

Si les mesures policières contre Zaman ont fait scandale dans le monde entier, elles ne sont qu’un exemple de l’évolution répressive du régime d’Erdogan. Zaman est un journal islamiste de droite lié au clan de Fethullah Gülen, concurrent du clan Erdogan qui dirige l’AKP, le parti au pouvoir. Entre les deux clans, c’est une véritable guerre. Alors qu’on est plutôt habitué à voir la police turque charger des militants de gauche ou d’extrême gauche, des militants kurdes ou des travailleurs en lutte, on l’a vue le 5 mars charger des femmes voilées, certaines se retrouvant avec le visage ensanglanté. La veille, la police d’Erdogan avait aussi arrêté deux dirigeants de la Boydak Holding, membres de la direction du syndicat patronal Tüsiad. Il y a quelques mois, le gouvernement AKP avait mis sous tutelle un autre grand groupe capitaliste, Ipek Koza, et fermé ses deux chaînes de télévision. Erdogan a déclaré que la confrérie de son ancien allié Gülen était une organisation terroriste et qu’il allait la liquider complètement, ce qu’il a largement entrepris. Plusieurs centaines de chefs de la police et des juges proches du clan Gülen ont été licenciés, dont certains arrêtés et jetés en prison.

La répression et le durcissement du régime ne se limitent pas au clan Gülen, même dans le domaine de la presse. Deux journalistes du journal de centre-gauche Cumhurriyet ont été arrêtés et n’ont été libérés que trois mois plus tard, après une décision de la Cour constitutionnelle, qu’Erdogan a publiquement désavouée. Ils sont accusés de complicité de terrorisme et de tentative de renversement du gouvernement, pour avoir mené une enquête sur la façon dont les services secrets turcs fournissaient des armes à des organisations djihadistes syriennes.

Outre la répression contre le mouvement nationaliste kurde, le régime agit dans tous les milieux contre les contestataires et les opposants. Le milieu des enseignants du supérieur est maintenant visé, car certains ont signé une pétition contre les exactions de l’armée dans les villes kurdes. Plusieurs ont été déjà licenciés et les autorités ont déposé plainte contre 350 d’entre eux.

Mais la répression s’exerce aussi contre la classe ouvrière. On vient de le voir avec l’intervention de la police contre les travailleurs de Renault Bursa qui, depuis le début janvier, manifestaient pour obtenir le réajustement de leurs salaires en fonction de l’inflation. Face à ce mouvement, la direction de Renault a décidé fin février de licencier plusieurs dizaines de travailleurs, en particulier ceux qui s’étaient mis en avant. Mardi 1er mars au matin, les travailleurs ont occupé l’usine pour exiger la réintégration de leurs camarades. 2 000 travailleurs des autres équipes sont venus protester devant l’usine avec leur famille, mais la police a chargé violemment pour les disperser. En outre, 500 policiers sont entrés dans l’usine pour briser le mouvement d’occupation. Une vingtaine de travailleurs ont été arrêtés et l’usine évacuée, tandis que d’autres travailleurs ont été arrêtés chez eux.

Il s’agit sans doute d’une offensive préparée de longue date contre des travailleurs dont l’organisation et la détermination en avaient entraîné des dizaines de milliers d’autres dans tout le pays. Leur mouvement était suivi avec attention par tous les travailleurs du pays. Mais il n’est pas dit que le gros bâton d’Erdogan réussisse pour longtemps à stopper la contestation qui monte, y compris parmi des travailleurs qui souvent ont voté pour son parti.

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