USA, novembre 1915 : l’exécution de Joe Hill18/11/20152015Journal/medias/journalnumero/images/2015/11/2468.jpg.445x577_q85_box-0%2C104%2C1383%2C1896_crop_detail.jpg

Dans le monde

USA, novembre 1915 : l’exécution de Joe Hill

Il y a cent ans, le 19 novembre 1915, le militant ouvrier américain Joe Hill mourait exécuté par la justice américaine, à la suite d’un procès de droit commun. Mais c’était bien le militant ouvrier qui était visé.

Né Joel Hägglund en Suède en 1879, Joe Hill avait commencé à travailler dès l’enfance, dans une usine de cordes puis sur une grue à vapeur. En 1902, il émigra aux États-Unis avec son frère Paul, comme des millions d’Européens à cette époque. Il fit alors toutes sortes de métiers, parcourant les États-Unis et le Canada, souvent en s’embarquant dans les trains de marchandises, comme d’innombrables « hobos », les vagabonds du rail d’alors.

C’était une époque de lutte de classe intense. En 1892, un grand patron américain, Henry Clay Frick, avait lancé : « J’ai les moyens d’acheter la moitié de la classe ouvrière pour massacrer l’autre moitié », et fait tirer à la mitrailleuse sur des grévistes.

Les IWW

En 1910, alors que Joe Hill était docker à San Pedro, le port de Los Angeles, il rejoignit les « Industrial Workers of the World » (travailleurs industriels du monde, IWW), fondés à Chicago en 1905. Surnommés les « Wobblies », ils s’opposaient directement à la principale fédération syndicale, l’American Federation of Labor (AFL) dirigée par Samuel Gompers, très marquée par le corporatisme, et qui refusait d’organiser les ouvriers sans qualification, les travailleurs journaliers ou itinérants, les Noirs ou encore les femmes. Les IWW considéraient au contraire que l’ensemble des travailleurs avaient les mêmes intérêts, quels que soient leur qualification, leur sexe, leur couleur de peau et même leur nationalité.

Partisans d’un « seul grand syndicat », les Wobblies s’implantaient chez les cheminots, dans le textile, chez les bûcherons, ou encore chez les mineurs, avec des militants comme la célèbre « maman Jones ». Comme l’avait dit lors du congrès de fondation ­William D. Haywood, « Nous allons descendre dans le caniveau pour rejoindre la masse des travailleurs et la porter à des conditions de vie décentes. » Syndicalistes révolutionnaires, ils ne luttaient pas seulement pour améliorer la condition des ouvriers, mais pour leur émancipation.

« La classe ouvrière et la classe patronale n’ont rien en commun », disait le texte fondateur des IWW. « Il ne peut y avoir de paix tant que l’on rencontre la faim et le besoin parmi des millions de travailleurs, alors que la minorité constituée par la classe des patrons a toutes les bonnes choses de la vie. (…) C’est la mission historique de la classe ouvrière d’en finir avec le capitalisme. L’armée de la production doit être organisée, non seulement pour la lutte au quotidien contre les capitalistes, mais aussi pour poursuivre la production quand le capitalisme aura été renversé. »

Poète, musicien et militant infatigable

Joe Hill devint donc un agitateur itinérant, allant de ville en ville au gré des opportunités d’emploi, pour aider à constituer des syndicats ou à organiser des grèves. Les IWW – et le mouvement ouvrier américain en général – comptèrent de nombreux militants de ce type. Hill avait grandi dans une famille de musiciens et poussait souvent la chanson, trouvant également à l’occasion à s’employer comme pianiste. Musicien et poète, il composa de nombreux chants de lutte qui furent bientôt des classiques. Il devint le principal auteur dans le carnet de chants de l’IWW, le Little Red Song Book, peut-être la publication la plus diffusée de toute l’histoire du mouvement ouvrier américain.

Avec d’autres Wobblies, Joe Hill participa à la révolution mexicaine en 1911, en Basse-Californie, à l’ouest du Mexique. En 1912, il était à San Diego pour une campagne pour la liberté d’expression. Il alla dans l’Ouest canadien organiser une grève d’ouvriers de la construction ferroviaire, avant de revenir à San Pedro participer à une grève de dockers italiens. Il partit ensuite dans l’Utah, où l’IWW organisait les travailleurs du bâtiment.

C’est à Salt Lake City que Joe Hill fut accusé du meurtre d’un épicier et de son fils, en janvier 1914. Aucune preuve de son implication n’existait mais, dans le contexte de la violente campagne menée par les autorités contre les IWW, le procès fut un simulacre. Joe Hill fut condamné à mort et fusillé. Des milliers de travailleurs participèrent à ses obsèques à Chicago, avant que ses cendres ne soient envoyées aux 600 sections des IWW.

En 1917, la répression s’accrut contre les Wobblies, qui s’opposaient à l’entrée en guerre des États-Unis. Ils furent largement décimés et déclinèrent ensuite, ce qui conforta l’hégémonie de l’AFL jusqu’aux années 1930. Quant à Joe Hill, sa mémoire a été honorée par le mouvement ouvrier américain. Ses dernières lignes, adressées au dirigeant des IWW William Haywood, sont passées à la postérité : « Au revoir, Bill. Je meurs en authentique rebelle. Ne perdez pas de temps à pleurer ma mort, organisez-vous ! »

Le film Joe Hill (1971) de Bo Widerberg vient de ressortir dans une version restaurée dans plusieurs villes de France le 18 novembre. Bande-annonce : https ://vimeo.com/141991913
Partager