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Turquie : le succès d’Erdogan, à quel prix…
Le 1er novembre, en Turquie, le président Erdogan a remporté la majorité absolue des voix aux élections législatives. Même si les résultats officiels ne paraîtront que dans quelques jours, il est déjà certain que son parti, l’AKP, obtiendra au moins 316 sièges sur les 550 députés, et pourra donc gouverner seul, sans être contraint, comme au lendemain des élections du 7 juin, à former pour cela une coalition. Mais, en ayant misé sur le recours à un nouveau scrutin pour rétablir l’hégémonie de son parti, le président n’a cependant pas atteint totalement son objectif : obtenir les deux tiers des sièges et pouvoir ainsi changer la Constitution.
Sur 57 millions d’électeurs, 48 sont allés aux urnes, l’abstention diminuant même un peu. L’AKP a nettement amélioré ses résultats, gagnant plus de 5 millions de voix par rapport à juin dernier, pour atteindre 49,5 %. Les voix gagnées l’ont été en grande partie aux dépens du parti d’extrême droite MHP. La politique belliqueuse d’Erdogan vis-à-vis des nationalistes kurdes du PKK, ses surenchères et ses agressions tant à l’égard de la presse d’opposition que des voix discordantes, visaient d’ailleurs bien à prendre des voix à cette extrême droite nationaliste.
Si le traditionnel parti kémaliste CHP, social-démocrate, se maintient avec 25,4 % des voix et 134 sièges, le second perdant de ces élections est le HDP, parti progressiste prokurde. Ce dernier est passé de 13 à 10,8 % et a perdu 700 000 voix, mais parvient néanmoins à franchir la barre des 10 %. Il conserverait donc 59 sièges à l’Assemblée. La stratégie de la tension développée depuis quatre mois par Erdogan, assortie d’un chantage au chaos provoqué par les « mauvais » choix des électeurs en juin dernier, n’a donc été payante qu’en partie vis-à-vis de l’électorat kurde lui-même, dont seule une fraction a renoncé à voter pour le HDP. La rupture par l’AKP du processus de paix entamé auparavant avec le PKK et les dirigeants politiques kurdes, la reprise de la guerre au Kurdistan, l’organisation par des bandes liées au pouvoir d’attaques contre des sièges de journaux hostiles à Erdogan ou de locaux du HDP, les agressions de militants kurdes, n’auront pas suffi à Erdogan pour éliminer le HDP du Parlement.
Afin de garantir une propagande sans faille, trois jours avant le scrutin, l’AKP avait fait intervenir la police contre les chaînes de télévision Bugün et Kanal Türk, ainsi que sur deux grands quotidiens, Bugün et Millet, appartenant au groupe capitaliste Koza-Ipek, proche de la confrérie Gülen, frère ennemi et concurrent d’Erdogan. La victoire électorale du 1er novembre a aussi été obtenue à ce prix.
La majorité absolue obtenue va sans doute offrir à Erdogan et à ses proches un répit, au moins provisoire. Il pourra ainsi échapper au tribunal du Conseil constitutionnel où une accusation de haute trahison l’attendait, des dossiers chargés étant déjà prêts à son sujet depuis près de deux ans. Mais la possibilité de changer la Constitution à son profit n’est pas acquise, loin de là.
Cependant, la crise économique touche de plus en plus durement la population turque, l’inflation s’accroît au fur et à mesure que la monnaie se déprécie. L’autoritarisme dont le gouvernement fait preuve contre toute l’opposition risque probablement de se renforcer. Mais la défaite électorale des partis d’opposition n’est pas celle de la classe ouvrière turque, qui a montré il y a quelques mois combien elle pouvait être déterminée à défendre ses conditions de vie.