Grande-Bretagne : le « radical » Corbyn et les réalités de la démocratie bourgeoise30/09/20152015Journal/medias/journalnumero/images/2015/10/2461.jpg.445x577_q85_box-0%2C104%2C1383%2C1896_crop_detail.jpg

Dans le monde

Grande-Bretagne : le « radical » Corbyn et les réalités de la démocratie bourgeoise

Le congrès annuel du Parti travailliste britannique, qui s’est ouvert le 27 septembre, est venu souligner tant les contradictions de la rhétorique apparemment radicale de son nouveau leader, Jeremy Corbyn, que la faible marge de manœuvre dont il dispose dans les faits.

Après l’avalanche d’insultes dont la grande presse avait salué la victoire de Corbyn, on avait vu les ténors travaillistes se bousculer pour prendre leurs distances, en refusant par avance de participer à son « cabinet fantôme » – le gouvernement de rechange constitué par l’opposition.

Puis, au cours des deux semaines suivantes, on avait assisté à une série de reculades. Tout pacifiste et antimonarchiste qu’il se dise, Corbyn avait participé aux côtés de la reine à une cérémonie commémorative. Il est vrai qu’il avait omis d’entonner l’hymne national. Mais il s’en était aussitôt excusé par la voix de son porte-parole, en prétextant un moment d’inattention ! Puis il avait accepté de plier le genou devant la reine pour assister à son « cabinet privé », mascarade d’un autre temps qui aurait depuis longtemps disparu si la classe politique britannique ne s’y prêtait pas avec une complaisance pitoyable. Et tout cela, comme l’expliqua son bras droit, le député John McDonnell, lors d’un débat télévisé, pour ne pas donner du grain à moudre à tous ceux qui, à droite comme dans son propre parti, affirment que ses positions politiques sont inacceptables.

Mais les reculades de Corbyn ne se sont pas limitées à ces gestes symboliques. Le passage de 40 à 60 % du taux d’imposition de la tranche supérieure des revenus les plus élevés, qu’avait promis Corbyn, n’était pas bien radical puisque ce taux resta en vigueur pendant les huit premières années du règne de Thatcher. Mais ce taux fut soudain réduit à 50 %. Puis il apparut que la renationalisation des chemins de fer, dont Corbyn avait fait l’un de ses chevaux de bataille, consisterait en fait à attendre la fin des contrats des compagnies privées qui exploitent les lignes pour les reprendre dans le domaine public. De la sorte, ladite renationalisation ne pourrait être accomplie qu’en 2030 au plus tôt.

Il fallait donc s’attendre à d’autres reculades du même type au congrès du parti. Et il y en a eu une au moins de taille : Corbyn, qui pendant treize ans s’opposa à la politique antiouvrière du Parti travailliste lorsqu’il était au pouvoir, n’a pas cru bon d’en dire un mot dans son discours devant des délégués dont beaucoup avaient sans doute voté pour lui justement pour cette raison.

De même, d’ailleurs, Corbyn n’a pas émis la moindre protestation lorsque, par un tour de passe-passe bureaucratique orchestré par les appareils syndicaux, a été escamoté le débat prévu sur Trident, la force de frappe nucléaire sous-marine. Souvent dénoncée par Corbyn, tant pour son caractère impérialiste que pour son coût, il en avait pourtant promis l’abolition au cours de sa campagne. En fait, on était loin dans le discours de Corbyn du ton radical qui avait été le sien précédemment. À la place, l’accent était mis sur sa détermination d’être le Monsieur Propre de la classe politique, de promouvoir une société « bienveillante et charitable », de lutter contre les inégalités et, surtout, de faire l’unité du Parti travailliste.

Pour Corbyn, il ne s’agit évidemment pas de sortir du cadre des institutions politiques de la bourgeoisie. Il lui faut démontrer qu’il est pour celle-ci un leader « éligible », et il s’y emploie. Son langage vise, dans l’électorat populaire, à redorer le blason d’un Parti travailliste discrédité par sa servilité à l’égard du grand capital.

Y parviendra-t-il ? L’avenir le dira. Mais ce qu’on peut souhaiter, c’est que les travailleurs britanniques ne se laissent pas prendre à ce piège et que ceux qui ont cru voir dans Corbyn l’écho de leur mécontentement préfèrent prendre leur avenir dans leurs propres mains, en ne comptant que sur leurs forces.

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