Turquie : Erdogan et sa clique jouent la guerre civile16/09/20152015Journal/medias/journalnumero/images/2015/09/2459.jpg.445x577_q85_box-0%2C104%2C1383%2C1896_crop_detail.jpg

Dans le monde

Turquie : Erdogan et sa clique jouent la guerre civile

Début septembre à Istanbul, en Turquie, environ deux cents nervis ont attaqué le siège du journal turc Hürriyet, saccageant locaux et matériel. L’attaque était dirigée par un jeune député de l’AKP, le parti du président Erdogan. Hürriyet est un quotidien de droite qui appartient à un groupe capitaliste, le groupe Dogan, qui possède aussi de grandes chaînes de télévision. Mais, avec Hürriyet, ces chaînes ont eu le tort de se faire l’écho d’un discours d’Erdogan gênant pour celui-ci.

Dans ce discours diffusé jusqu’alors de façon confidentielle, le président déclarait en effet que « si l’AKP avait obtenu 400 députés lors du scrutin de juin, la Turquie ne connaîtrait pas la tension qui règne dans le pays actuellement ». Autrement dit, si le parti d’Erdogan avait continué à disposer de la majorité absolue des députés, il n’aurait pas eu besoin de relancer la guerre à la population kurde de Turquie. La phrase d’Erdogan apparaissait ainsi comme un aveu. Si les bombardements de l’armée contre les positions du PKK ont mis fin à la trêve avec l’organisation nationaliste kurde, si l’on assiste à des agressions de plus en plus violentes des partisans du président contre les milieux militants kurdes, c’est bien parce que le pouvoir l’a décidé.

Les affrontements déclenchés depuis la fin juillet visent à réduire le plus possible l’influence du parti pro-kurde HDP qui, en franchissant la barre des 10 % aux élections législatives de juin, avait placé Erdogan dans une position intenable. Après son échec relatif à l’élection législative de juin, son parti, l’AKP, était dans l’obligation de constituer une coalition de gouvernement. C’est ce qu’Erdogan et ses partisans cherchent à éviter en tentant le tout pour le tout pour les élections anticipées du 1er novembre prochain. Les partis d’opposition, en particulier le CHP kémaliste et social-démocrate, menacent en effet de traduire le président et certains de ses proches en justice pour « haute trahison ».

La population kurde prise pour cible

L’attaque contre le journal Hürriyet est la plus spectaculaire, mais plusieurs centaines de sièges du parti pro-kurde HDP ont été attaqués, saccagés ou incendiés par les bandes de voyous au service d’Erdogan ou de l’extrême droite, avec laquelle l’AKP est en concurrence pour gagner les voix des électeurs.

Dans ce climat délétère, les conséquences de la crise économique, avec l’inflation et la baisse du niveau de vie de la population, une ambiance de pogrome commence à s’installer dans certains quartiers contre les commerçants ou des travailleurs d’origine kurde. On a assisté à des agressions contre des travailleurs du bâtiment d’origine kurde, des boutiques tenues par des Kurdes ont été saccagées ou incendiées. À Konya, sur un chantier, 400 travailleurs kurdes ont été assiégés quatre jours durant par des voyous à la solde du pouvoir ou de l’extrême droite, des bus desservant des villes kurdes ont été attaqués. À Istanbul, un jeune qui conversait au téléphone dans la rue en langue kurde a été mortellement agressé. Un autre jeune homme, à la peau sombre, a été attaqué dans une rue de Burdur, une petite ville du centre du pays, par une bande d’extrême droite qui l’avait pris pour un Kurde. Triste ironie, il s’agissait d’un Turc proche de ces mouvements…

La population d’origine kurde devient de nouveau une cible dans ce qui évolue en une véritable guerre civile. Dans les années 1990, la précédente guerre du pouvoir contre les Kurdes avait fait plus de 40 000 morts, en majorité d’origine kurde. Actuellement, on chiffre à plusieurs centaines les morts du côté kurde et à des dizaines ceux du côté des soldats et policiers turcs. Les répercussions de ce conflit se font sentir dans tout le pays, mais encore plus dramatiquement dans le sud-est, où les villes sont majoritairement peuplées de Kurdes, comme Diyarbakir, Cizre et Silvan. À Cizre, une ville de plus de 120 000 habitants, un couvre-feu a été instauré pendant neuf jours, au cours desquels l’armée et les forces spéciales ont saccagé la ville et terrorisé la population, qui n’osait même pas sortir faire ses courses. À peine levé, le couvre-feu a été aussitôt remis en place.

Parallèlement à cette offensive, Erdogan et ses partisans de l’AKP continuent leurs attaques contre les rivaux de l’entourage de Fethullah Gülen, leur ancien allié. La police opère des descentes dans les entreprises, chaînes de télévision ou écoles privées appartenant à ces derniers. Au-delà des partisans de Gülen, de plus en plus écartés des rouages de l’État, la répression s’intensifie dans tous les domaines. Récemment, 90 sites Internet ont été fermés par le gouvernement. Des militants de différents groupes d’extrême gauche ont été arrêtés. Dans la presse, des éditorialistes pro-Erdogan ont menacé leurs confrères hostiles au gouvernement de « les écraser comme des mouches ». Une loi dite « de sûreté » a été conçue pour permettre les arrestations sur un simple « soupçon fondé ».

Parallèlement, avec les difficultés économiques croissantes, la dégradation de la vie de la population est une réalité et, si l’on en croit les sondages, les électeurs ne sont pas près d’assurer à l’AKP la victoire qu’il n’a pas eue en juin. Mais Erdogan et son entourage montrent qu’ils sont prêts à tout pour ne pas lâcher les rênes du pouvoir.

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